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Après l'acte d'être de la chauve-souris, celui des bœufs blonds d'Aquitaine :
Des blonds d'Aquitaine, j'en avais déjà vu, et je savais combien ils sont grands et comme ils semblent plongés, plus que les autres encore, dans une interminable douceur et combien cette douceur, qui accompagne le beige soyeux de leur robe jusqu'à une imposante paire de cornes, peut n'être aussi que le masque ou la forme alentie de leur puissance.
En tout cas, devant ces deux bœufs âgés tous les deux de dix ans mais qui semblent selon nos critères à la fois jeunes et sans âge, ce qui se passe, et je peux témoigner que c'est le cas pour tous ceux qui les croisent, même s'ils jugent bon d e s'en tirer assez vite par de petites remarques ou des plaisanteries, c'est que ces animaux franchissent sans effort le pas de la simple présence et de la simple reconnaissance pour aller se poser au-delà de toute identification rassurante, dans une ancienneté qui n'est pas celle d'un protocole d'élevage abandonné ni celle d'un animal domestique spectaculaire, mais celle d'une adhérence à soi et au monde qui est en même temps comme une fuite en avant et qui est le propre de toute bête : "L'animal est comme un pays, il ne se déplace pas hors de chez lui", a écrit Gille Aillaud , et il ne s'agit pas, avec ce pays continué, d'un fond de sauvagerie, ou de la sauvagerie elle-même, ou de l'animalité, mais d'une puissance de manifestation qui est sidérante, et c'est du sein même de cette puissance tout entière retirée en elle-même que le forme de l'animal, autrement dit son apparence, ce qui l'assimile à lui-même et le fait, se décolle de toute simplicité d'encodage et de toute instrumentalisation pour exister un instant au moins comme pure existence, comme manifestation de la possibilité d'existence.Le parti pris des animaux, Jean-Christophe Bailly.