vendredi 21 avril 2006

Diarisme et rêve anglais




"C'est ce qui m'a le plus étonné dans ma fréquentation des officiers anglais au G.H.Q. d'Arras que cette manie qu'ils ont tous de prendre des notes, d'enregistrer les menus propos et de tenir un journal secret, détaillé et circonstancié. C'est probablement une habitude qui leur vient du collège, où les conférences, les réunions, les comptes rendus, les confrontations d'opinion contradictoires sont quotidiennes en Angleterre, ce qui donne une grande souplesse à l'esprit critique, aiguise le sens d'observation et habitue dans son exercice la pensée à tenir compte des réalités. Rémy de Gourmont a remarqué que seuls les Anglais savent rédiger une biographie donnant le poids, les mesures, la chaleur animale, tous les détails physique d'une vie, aussi spirituelle soit-elle, et cela sans bertillonnage ni décalque du document mais vu comme dans l'aura. J'ai toujours prétendu que les Anglais sont les plus grands rêveurs du monde et que la constitution de leur Empire, par exemple, n'aurait jamais pu se réaliser ni dans le temps ni dans l'espace sans une intense pratique du rêve, du rêve éveillée de toute une nation. Et la parole vivante de Churchill, à l'opposé du prêchi-prêcha démocratique de Roosevelt, du merveilleux silence ou de la sainte colère de Staline, des récriminations, des plaintes, des accusations, des menaces, des pleurnicheries, des mea-culpa, des trépignements de rage masochistes de Hitler, de sa tonitruance, des aboiements de Mussolini, de la voix de roquet ou des soupirs de crocodile de Reynaud ou de de Gaulle, la parole vivante, prophétique de Churchill durant la guerre mondiale, annonçant "des larmes, du sang et de la boue"* redonnait vie et espoir aux millions d'auditeurs branchés sur la B.B.C. parce que ce rêveur, dont l'humour et les convictions ébranlaient le Boche jusqu'au trognon, puisait ses visions dans la réalité, aussi tragique et désespérée fût-elle, et que ce prophète, avec son gros bon sens, son cynisme, appelant les choses par leur nom sans faire de sentiment et sans se laisser tromper par des théories préconçues ou leurrer par des idées générales parlait au jour le jour en bon lutteur, sans jamais perdre de vue la Terre et le destin des Hommes, la clef du rêve anglais."

Blaise Cendrars, Le Lotissement du ciel.

* Je sais, il s'est trompé, pas la peine de m'expliquer que...

mardi 18 avril 2006

non oui non oui viens je viens




Ach ja... ach ja... ach nein, ach nein... ja... nein... ja... du hassest mich... nein ich liebe dich...
Komm... Ja ich komme... Ich komme... komm... Ja ich komme...

Ach ja, ach nein, oui oui non non oui non si ah non tu me hais ah si je t'aime ah non viens viens oui je viens je viens je t'aime

De quel vaudeville berlinois ces extraits ? On imagine dans la garçonnière la dame hésiter à enlever chapeau à voilette et bas, et le monsieur, en caleçon, pressé de faire sa petite affaire, nein, ja, komm, ich komme...

Aria duetto de la cantate BW21 du Kantor, une de mes préféré, Ich hatte viel bekümmernis.

Komm, mein Jesu, und erquicke
Ja, ich komme und erquicke

Viens, mon Jésus et ranime-moi oui je viens te ranimer

Und erfreu mit deinem Blicke !
Dich mit meinem Gnadenblicke.

Et réjouir de ton regard ! Te réjouir de mon regard qui pardonne.

Diese Seele,
Deine Seele,

Cette âme, Ton âme,

Die soll sterben
Die soll leben

Qui doit mourir Qui doit vivre

Und nicht leben
Und nicht sterben

Et ne pas vivre Et ne pas mourir

Und in ihrer Unglückshöhle
Hier aus dieser Wundenhöhle
Ganz verderben.

Et dans ton puits d'infortune Dans ce puits de blessures Périr tout entière.
Sollt du erben
Ich muss stets in Kummer schweben

Tu dois hériter Je dois rester plongée dans le chagrin

Ja, ach ja, ich bin verloren,
Nein, ach nein, du bist erkoren

Oui, ah oui je suis perdue, Non, ah non, tu es choisie

Nein, ach nein, du hassest mich
Ja, ach ja, ich liebe dich.

Non, ah non tu me hais Si, ah si je t'aime.

Ach Jesus, durchsüsse mir Seele und Herz !
Entweichet, ihr Sorgen, verschwinde, du Schmerze !

Ah Jésus, emplis de douceur mon âme et mon coeur ! Qu'ils s'enfuient, tes tourments, disparaissez souffrances !

Komm, mein Jesu, und erquicke
Ja, ich komme und erquicke

Viens, mon Jésus et ranime-moi oui je viens te ranimer

Und erfreu mit deinem Blicke !
Dich mit meinem Gnadenblicke.

Et me réjouir de ton regard ! Te réjouir de mon regard qui pardonne.


dimanche 16 avril 2006

Belle du seigneur



Toujours épatant le charme du texte avec des héros aussi antipathiques, et une histoire aussi nunuche. Bon, Solal, dans tous les romans où il apparaît est de toute façon une tête à claques parfaite, le taurillon toujours offensé ; Ariane, plus drôle au début, devient parfaitement conne sur la fin avec sa manière de faire l'amour comme on avale l'eucharistie, tout dans le sublime... Comme la nounou on pouffe de rire, et la réflexion de la vieille, qu'elle avec son amoureux, au tout début ils auraient été ensemble au petit coin pour ne pas se quitter cinq minutes...
Malgré tout, ils font pitié, dans cette passion sincère et folle, qui tourne si mal par l'unique refus d'être eux-mêmes.
Mais la langue d'Albert Cohen est drôle, très drôle, et si enlevée et si savoureuse, même dans ses monologues les plus romantiques, quel bagoût !
Et puis il aime ses personnages, presque tous, même le petit Deume. Naturellement les cinq oncles sont toujours hilarants. C'est rare d'éclater de rire en lisant, mais avec eux cela m'est arrivé, même à la relecture.

lundi 10 avril 2006

Sanctuaire



"Il demeura deux jours chez sa soeur. Elle n'avait jamais été grande causeuse ; elle vivait d'une vie sereine et végétative, comme pourrait le faire un plant de maïs ou de blé poussé dans la quiétude d'un jardin bien abrité au lieu d'être dans un champ."

"- Je ne puis pas rester les bras croisés quand je vois l'injustice...
- Vous n'arriverez jamais à rattraper l'injustice, Horace, fit Miss Jenny.
- Eh bien, cette ironie qui se cache dans les événements, alors."


vendredi 7 avril 2006

Sanctuaire





"Faulkner sait bien que les détectives n'existent pas ; que la police ne relève ni de la psychologie ni de la perspicacité, mais bien de la délation ; et que ce n'est point Moustachu ou Tapinois, modestes penseurs du quai des Orfèvres, qui font prendre le meurtrier en fuite, mais la police des garnis ; car il suffit de lire les mémoires des chefs de la police pour voir que l'illumination psychologique n'est pas le fort de ces personnes, et qu'une "bonne police" est une police qui a su mieux qu'une autre organiser ses indicateurs. Faulkner sait aussi que le gangster est d'abord un marchand d'alcool.*"

"En littérature, la domination du roman est significative, car, de tous les arts (et je n'oublie pas la musique), le roman est le moins gouverné, celui où le domaine de la volonté se trouve le plus limité. Combien les Karamazoff, Les Illusions perdues, dominent Dostoïevsky et Balzac, on le voit de reste en lisant ces livres après les beaux romans paralysés de Flaubert."

* aujourd'hui on dirait "de drogue."

Préface de Malraux à Sanctuaire.

Par contre, quand il écrit que "Sanctuaire, c'est l'intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier", je ne suis pas d'accord. Le roman policier n'a jamais été qu'une imitation de la tragédie grecque, mais c'est tout.
Sanctuaire

La fleur au fusil




De 1880 à environ 1970 lorsqu'un vieux con (peu importe l'âge réel il s'agit de l'esprit) était mécontent de son époque, c'est-à-dire qu'il jugeait que l'époque ne le méritait pas, lui, il finissait toujours par sortir, à un moment ou un autre : "Il faudrait une bonne guerre." Ensuite les mêmes vieux cons mais des générations suivantes se sont mis à dire et disent toujours : "Plutôt la dictature que la démocratie molle et sournoise." Au fond c'est resté la même lamentation, le même voeu :"Que vienne le temps des coups de pied au cul." Le plus marrant est que ceux qui appelle à la répression-révolution-répression sont les mêmes qui défilent contre la guerre, "parce que c'est mal et que ça tue des gens." A l'inverse, les va t'en guerre du temps de grand-papa étaient contre les révolutions, "source de désordres et de violence." C'est ce que l'on peut identifier comme le gène du gnagnatisme, passant-mutant d'une génération l'autre.

Ne pas oublier dorénavant, quand j'entendrais "la démocratie, tu parles !" de transcrire automatiquement " Vivement la guerre !". Sourire est bon pour le karma, comme dirait Taupe.

Solidarité




Hier passé mon temps bloquée dans le train. Depuis 15 jours en fait. ça ne me fâche pas, ça me permet d'arriver tranquillement le matin, voir plus tard. Je serais bien plus furax s'ils bloquaient les trains du soir. Mais je suppose que les étudiants contestataires ont un estomac et rentrent sagement dîner. Bloquer les trains, cela fait sourire, cette imitation des grandes personnes, quand on fait grève, c'est toujours dans les transports. Ils ont sans doute réalisé que bloquer les facs, tout le monde s'en foutait à aprt eux et ceux qui auraient aimé passer leurs examens cette année. Enfin moi ça va, mais j'imùagine que certains, en position vraiment précaire, doivent souffrir de perdre une demi-journée ou d'arriver en retard si patron bien sourcilleux. Ils n'ont qu'à être solidaires...

lundi 3 avril 2006

Tony Takitani


Superbe film, intimiste et doux. Beauté douce des gris, ceux des vêtements, allant tous du beige au gris, pas de couleurs qui claquent. Beauté de la voix off et des notes de piano qui pendant près d'une demi-heure vont raconter l'exposition d'une histoire douce-amère qui va durer au fond 40 minutes. Il n'y a vraiment que les Japonais pour captiver de la sorte avec les histoires les plus simples, les moins épiques, émerveillement perpétuel du quotidien.

Ce nom comme une musique, un chantonnment, Tony Takitani, Tony Takitani, la Ballade de Tony...

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.