jeudi 11 juillet 2013

Reliefs durs et molassiques des religions



"Alors même qu'il semble aujourd'hui que l'argent soit le seul dieu prié sur le continent chinois, on se rassure de voir que les vieux temples de jadis sont toujours là. Ou plutôt qu'ils sont de nouveau là, reconstruits quand ils avaient été abandonnés, et que l'on s'y presse, jeunes et vieux, touristes chinois et paysans du lieu. À croire que trente années de marxisme athée, de maoïsme antireligieux ont glissé sur le cœur des Chinois comme l'eau sur l'aile d'un canard et que, comme l'a si bien dit Claude Larre, "couchées un temps sous la rafale de la Révolution, les coutumes et les croyances de la Chine traditionnelle poursuit[vent] leurs vies dans le secrets des consciences." 
Cyrille Javary, Les Trois sagesses chinoises: Taoïsme, confucianisme, bouddhisme.

Cela rejoint ce qu'observait et concluait Nicolas Bouvier, dans Routes et Déroutes,  devant le regain de piété dans le monde slave après la chute du communisme :

"Une chose qui me touche beaucoup dans le monde slave, c'est une forme de piété candide, innocente, assez sonore aussi. Aussitôt qu'avec l'effet Gorbatchev on a réouvert les églises, le chant choral, la dévotion aux icônes et cette folie d'allumer des cierges à tout propos sont revenus. Parce que ce sont de bonnes choses. C'est comme les tranches géologiques. Il y a des reliefs durs qui survivent et des reliefs molassiques qui s'érodent. C'est pourquoi tous ces problèmes d'identité, qu'on chérit et qu'on évoque si souvent maintenant, me paraissent une véritable tarte à la crème. Parce que de deux choses l'une : ou bien on a une identité authentique, auquel cas on ne peut la perdre, ou bien on n'en a pas et ce n'est pas la peine d'utiliser son énergie à défendre ce qu'on n'a jamais eu."
Ainsi, en est-il, peut-être, du soudain regain de l'islam en Turquie, après le compresseur kémaliste. Non pas le 'retour du religieux' en Turquie, car peut-être n'en était-il jamais parti.

Partant de là, si cette hypothèse des reliefs durs et des reliefs molassiques de la religion se vérifie, les chrétiens qui se lamentent sur la désertion des églises et des temples en Europe le font soit à tort, soit en vain : il se peut que l'Europe païenne (à la queue des mouvements druidiques, néo-paganistes ou du Notre Mère la Nature des New Age) ressorte de sous un rouleau compresseur monothéiste qui ne lui appartenait pas en propre ; ou bien le christianisme est un 'relief dur' de l'Europe, et il reviendra, peut-être à un état plus primitif, plus originel, débarrassé de quelques scories historiques ou dogmatiques, à l'image du christianisme avant le césaro-papisme. Dans les deux cas, pas la peine de s'en faire : comme le dit Sonny dans The Best Exotic Marigold Hotel :

Everything will be all right in the end... if it's not all right then it's not yet the end. 


François Stroobant,
lithographie en couleurs,
Université de Liège

mardi 9 juillet 2013

On s'en fout

C'est Ramadan, mais non.

I knew things could change because they had for Pip

WHAT DID I HOPE FOR ? Just hope itself, really, but in a particular way. I knew things could change because they had for Pip.

*

In Great Expectations we learned how a life could change without any warning.
Mister Pip, Lloyd Jones. 

lundi 8 juillet 2013

"Cette femme est comme un confessionnal"

15 septembre.
"Un mot de curé d'ici, parlant d'une femme qui accouche tous les ans: "Cette femme est comme un confessionnal, il y a toujours du monde".
Edmond de Goncourt, Journal des Goncourt, Deuxième série, deuxième volume, Mémoires de la vie littéraire.  

On s'en fout

Les Adèle réussissent au bac.

vendredi 5 juillet 2013

Apparition disparaissante

"Mais que voit-on dès lors, derrière cet être en allé en verbes et confondu au vivant, au ruissellement de l'existence ? On voit des façons d'être, des façons d'habiter le monde en y passant, on voit et on entend une profusion, celle-là même qui était venue plus tôt, tel un buissonnement de verbes libérés comme des insectes tournoyant dans le soir et cette fois on y est : auprès d'eux, les insectes et les autres, dans leur rumeur, dans la chorégraphie aléatoire des apparitions et des disparitions, soit tout ce système de cachettes, de fuites et d'issues dérobées que les animaux de toute taille ont à réinventer chaque jour, système que nous ne connaissons que de façon discontinue par cette bande-son qui est son signalement le plus fréquent et que notre voix ou le bruit de nos pas suffisent à interrompre : aussi fondamentale que peut l'être la rencontre furtive avec un animal dont nous croisons un instant le regard est cette autre expérience, peut-être encore plus familière : celle que nous faisons de ce silence qui vient soudainement aussitôt que notre présence a été repérée, celle qui nous fait tomber d'un coup dans ce silence où nous comprenons que nous sommes écoutés et que nous nous mettons à écouter à notre tour."
Jean-Christophe Bailly,Le parti pris des animaux

jeudi 4 juillet 2013

L'acte d'être de l'âne

Jean-Antoine Watteau
1718-20
huile sur toile
musée du Louvre,
Paris

Rien ici, en face de ce qui est littéralement la condition de l'existence, n'est plus parlant que ce qui se présente lorsque deux individuations formées se rencontrent et lorsqu'au lieu de s'éviter en se fuyant elles s'accordent un moment de suspens au sein duquel elles se regardent. Je fais allusion ici bien sûr à l'expérience toujours singulière du regard échangé. Expérience dont j'ai souvent parlé parce qu'elle est, je crois, à l'origine même de mon sentiment et de mon tourment quant à la question animale, et dont le premier effet est de nous mettre sous les yeux à travers un regard qui n'est pas comme le nôtre, qui n'est pas "humain" et ne le sera jamais, l'existence d'un autre regard et à travers lui l'existence de l'altérité comme telle. 
Le partage qui a lieu alors, lorsqu'il arrive que nous prenions le temps de le laisser agir, comme certains peintres nous ont indiqué qu'il était possible de le faire – et je pense cette fois à l'insistance si précisément rendue de l'œil de l'âne qui nous regarde depuis l'arrière, au niveau du pantalon blanc du "Gilles" de Watteau – lorsque donc nous tentons de saisir ce que les yeux de l'animal qui nous regarde et que nous regardons nous disent de ce qui en lui s'apparente à ce que nous appelons, nous, de notre côté, la pensée – ce partage est toujours celui de l'altérité comme telle, celui d'un "de part et d'autre" qui, parce qu'il est justement sans rémission, entrouvre l'accès, non à l'autre et à son secret, mais à sa pleine reconnaissance. Même les animaux familiers, le chat de la maison, un chiot, se rappellent parfois à nous sous l'angle de cette altérité, en se décrochant de la couche de sentiments protecteurs qui les enserre. Mais quel que soit l'animal, ce qui compte, et qui est si impressionnant et même dans certains cas inoubliable, c'est la plénitude avec laquelle, hors de tout décret, l'existence se condense dans la singularité de celui qui la porte et la déporte dans son sens : le fond commun c'est aussi ce qui fait en nous – et en eux – l'expérience de ces façons si extraordinairement diverses de porter l'existence et de s'y tenir.
Jean-Christophe Bailly, Le parti pris des animaux 

mercredi 3 juillet 2013

Le collectionneur chinois

Mardi 11 août.– Le jeune comte de Balloy est venu passer deux ou trois jours ici, avant de se rendre en Perse, où il est nommé second secrétaire. Il a passé trois ans en Chine, et en cause très intelligemment. 
Il est quelque peu bibeloteur, et très amusant à entendre raconter la fabrication toute promitive des émaux cloisonnés. La carcasse de la pièce faite, les cloisons soudées, l'ouvrier, sur le pas de sa porte, a devant lui un plat de feu, une espèce de four de campagne, dans lequel il cuit et recuit l'émail, une trentaine de fois, soufflant son feu, à grands coups d'éventail. La fabrication se fait presque avec les doigts, aidés de deux ou trois petits méchants instruments, et sans plus d'appareil et de dépense d'établissement que cela.
Il dit que la lucidité des cloisonnés chinois tient à ce que tout l'intérieur des cellules, avant que l'émail y soit versé, est argenté: les arêtes extérieures étant dorées après la finition de la pièce. 
Il me donne ce détail curieux que les collectionneurs chinois n'exposent jamais leurs objets d'art. 
Là, l'objet d'art est toujours enfermé dans une boîte, dans un fourreau d'étoffe, et presque caché dans quelque coin du logis. Le collectionneur chinois le possède pour en jouir, et s'en délecter, lui tout seul, la porte fermée, dans une heure de repos, de tranquillité, de recueillement amoureux. S'il le fait voir, cela se passe à peu près ainsi: il invite un ami, un collectionneur comme lui, à prendre une tasse de thé. Et tout en humant l'eau odorante, il s'échappe à dire : "Au fait, je me suis procuré un beau morceau de jade!" et le voilà, tirant lentement son bibelot, le faisant tourner et retourner sous les yeux de son ami, lui en détaillant les beautés. 
Et après que tous deux l'ont admiré longuement et secrètement, notre collectionneur fait rentrer le bibelot dans sa boîte, et la boîte dans sa cachette.
Edmond de Goncourt, Journal des Goncourt, Deuxième série, deuxième volume, Mémoires de la vie littéraire.

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.