lundi 30 juillet 2001

Le Grand Khan


"... Le Grand Khan essayait de se concentrer sur le jeu : mais à présent, c'était le pourquoi du jeu qui lui échappait. Le terme de chaque partie était une victoire ou une défaite : mais sur quoi ou de quoi ? Quel était l'enjeu véritable ? A l'échec et mat, à la place du roi enlevé par le vainqueur, il n'y a rien : qu'un carré noir et blanc."


dimanche 29 juillet 2001

Isadora



"Il vient à l'homme qui chevauche longtemps au travers de terrains sauvages, le désir d'une ville où les palais ont des escaliers en colimaçon incrustés de coquillages marins, où l'on fabrique lunettes et violons dans les règles de l'art, où lorsque l'étranger hésite entre deux femmes il en rencontre toujours une troisième, où les combats de coq dégénèrent en rixes sanglantes mettant aux prises les parieurs. C'est à tout cela qu'il pensait quand il avait le désir d'une ville. Isidora est donc la ville de ses rêves : à une différence près. Dans son rêve, la ville le comprenait lui-même, jeune ; il parvient à Isidora à un âge avancé. Il y a sur la place le petit mur des vieux qui regardent passer la jeunesse ; lui-même y est assis, parmi les autres. Les désirs sont déjà ses souvenirs."


jeudi 26 juillet 2001

Illuminations et nuits blanches


"Tout ce qui arrive dans mes romans m'est arrivé ou finira peut-être par m'arriver."

Ma vie repose entièrement sur le travail et sur l'amour, et j'en remercie Dieu. Le travail n'a pas toujours été facile. L'amour non plus, dois-je ajouter."


dimanche 15 juillet 2001

Le livre divin

e"Que je vive ou non je suis l'aimé, le souverain, le roi.
Et pourtant, que je sois mendiant ou que je sois César, quelle que soit ma condition, c'est à toi que j'appartiens."

Farid-od Din Attar, Le Livre divin.

"Il ne demanda pas un instant si ce qui lui était donné était bon ou mauvais ; il se dit seulement que cela venait du Seuil divin.

La damnation étant la faveur que le Seigneur lui réservait, il l'accueillit de toute son âme. Et ce fut tout. "

Farid od Din Attar, Le livre divin.


"Dans le sommeil tu étais inconscient, tu étais au-dessus des éloges possibles ;

Mon âme s'épanouissait au spectacle de ta beauté ; tu n'existais plus car je m'étais substitué à toi.

Mais aussitôt que tu revins à toi l'aimé disparut ; toi devenu le soupirant, l'objet des soupirs s'évanouit."

Farid od-Din Attar, Le livre divin.

"Tu es le roi de l'empire, ton coeur est ton roi, et je règne en roi sur ton coeur.

Même le ciel envie mon rang car bien qu'esclave je règne sur un roi.

Maître d'un tel empire, je n'ai que faire des territoires de ce monde.

Tu possèdes l'empire absolu mais l'empire de ton Ayaz est bien supérieur.

Puisque que ton essence est le coeur, et que tu as perdu ton coeur, à quoi sert, dis-le moi, ta souveraineté ?"

Farid od Din Attar, Le livre divin.

mercredi 11 juillet 2001

L'honneur du monstre

"- C'est vrai que vous n'aimez pas la démocratie...
- La démocratie, c'est la dictature des bien-pensants..."

Journal Intime, Marc-Edouard Nabe, p. 524.

"Chez Jünger, je dois lire le roman Orages d'acier qui va au fond de l'odieuse passion de la mort et du meurtre en Quatorze, la jubilation de tuer... Dans les souvenirs si puérils de Banine, bouillante Caucasienne qui en pinçait pour le bel Ernst glacial, on trouve certaines visions intéressantes : la psychologie du nazi malgré lui, du poète vert-de-gris y est bien brossée. On sent bien ce détachement dandy qui fait de Jünger un observateur unique de l'occupation boche, vue du dedans et du lointain... Par exemple, très au courant du complot contre Hitler, il échappe aux représailles grâce au Führer lui-même, toujours ébloui par les vieux Orages du lansquenet zélé... Banine insiste sur son Journal qui "pourrait à lui seul le mener au poteau d'exécution s'il tombait entre certaines mains... Voilà comment je conçois le diariste, bricoleur au jour le jour de sa propre bombe, forgeron de l'épée de Damoclès, rédacteur de sa propre lettre de cachet !"

Journal Intime, Marc-Edouard Nabe, p.586.

"- Allô ! Hélène ?... C'est le professeur Choron là... Alors, je t'ai attendue pour les photos cet après-midi... Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi tu es méchante avec Nabe ?... Il est très malheureux, tu sais, tu nous manques à tous... Qu'est-ce que tu veux ? Tu veux qu'il te fasse un gosse ? Tu joueras à la poupée... Plus confiance ? Pourquoi ? Tu l'as trompé ? Il t'a trompée ?... Je sens une hésitation dans ton non... Je me fous de savoir pourquoi vous vous êtes engueulés mais je suis certain qu'il s'agit de conneries. Tu sais Hélène, un couple c'est difficile, c'est plein d'accidents qui n'ont aucune importance près du bonheur de se retrouver, de s'enlacer. Tu as tes défauts ! Ecoute-moi ! Tu as tes défauts ignobles, lui aussi. Vous n'avez pas les mêmes désirs, les mêmes soucis... Dégradation ? Quelle dégradation ? C'est toi qui parle comme ça ? Alors tu es très bête, Hélène, je savais pas... Je vais lui dire qu'il a raison de te quitter... Tu crois que les coups à droite à gauche nous empêchent de baiser comme des fous, Odile et moi ? Moi je les monte à la baraque, les mecs, maintenant : on s'en fout : elle m'en aime que plus. Ecoute-moi, il est là, il est triste. Il va venir tout à l'heure : tu vas bien le sucer, tu me promets ? Tu vas pas le laisser sur la paillasson, d'accord ? Tu comprends ?... Je vais te le passer..."

Journal Intime, Marc-Edouard Nabe, p. 658.

"Plus on connaîtra ma vie dans les moindres détails, plus je serai libre."

Journal Intime, Marc-Edouard Nabe.

"Aujourd'hui où toutes les libertés d'expression ont soi-disant été conquises, l'honneur du monstre qu'est tout artiste est de se rendre insupportable par tous les moyens."

Marc-Edouard Nabe, Journal, p. 829.

dimanche 1 juillet 2001

Quelle belle journée que celle de la mort de Tino Rossi !

"Mardi 27 septembre. - Cinquante-neuvième aniversaire de Bud Powell. Je sens autour de moi une aversion féroce sourdre au sujet d'Hélène. Plus personne ne peut la sentir. En ne me donnant aucune nouvelle, elle s'est grillée auprès de mes amis, à jamais. La belle surprise du retour ! "Tu vaux mieux que ça... trop grand pour elle... inadmissible... elle avait un fauteuil, maintenant elle a un strapontin... ". Taisez-vous, jaloux, je sais qui j'aime.

Emotion sans pareille : parmi les coups de téléphone à donner à l'étranger sur le compte de cette crapule de Charlie, j'appelle Hélène à New York. Pour elle, ça fait huit heures du matin. Rarement nous avons vécu quelque chose d'aussi fort. J'étais mouillé des pieds à la tête. Elle n'arrivait plus à parler que par saccades chevrotantes. Moi je n'avais plus de salive ni de jambes. Ce n'est pas possible d'être si incurable que ça. Notre union est indestructible, je le sens bien là. Nous nous confirmons notre désarroi, le grand désert sexuel de chaque côté et le besoin absolu de l'autre qui nous visse à la vie. Elle dit m'avoir écrit une lettre et avoir conservé pour moi toutes ses sensations. Le 11 octobre elle sera dans mes bras. Le plus dur c'est de supporter de l'entendre pleurer d'émotion à plus de cinq mille kilomètres !!! Et de raccrocher en me disant pour la première fois de sa vie, "Je t'aime" ! Je vais mettre trente ans pour m'en remettre ! Quelle souffrance ! Quelle confiance ! Aucune femme au monde ne lui arrive à la cheville. Sans elle je suis éteint, mort, nul, à jeter. Attendre encore quinze jours avant de la tenir, l'écouter, la voir, l'adorer ! ça me semble aujourd'hui impossible. Malgré la morosité effilochée de ma situation, amputé des deux jambes pour toute la journée, je suis comme illuminé par la force, la grande puissance de savoir que la femme qui tient mon suicide entre mes mains est VIVANTE. Quelle belle journée que celle de la mort de Tino Rossi !"

Journal Intime, Marc-Edouard Nabe, pp 117-1118.

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.