"L'imagination est le premier miroir du monde, elle s'étend aussi loin que l'âme elle-même, elle peuple l'âme de ses formes. Sans doute ne produit-elle rien de neuf, puisqu'elle emprunte au sensible, mais elle épiphanise les formes dans une forme dimensionnelle, imparfaite, mais révélatrice. C'est cela que Sadrâ retiendra de la réflexion avicennienne."
"Le monde imaginal n'est pas un monde symbolique, un monde d'expressions reliées à des archétypes ou des représentations. C'est une région peuplée de corps dont la matière est la forme adéquate aux projections du désir de l'âme. Incorporation de la finalité de chaque désir, le corps imaginal est la présence de la jouissance. Tandis que le corps naturel est, pour moi, obstacle à mon désir, qu'il me sépare de moi-même et de la jouissance, le corps imaginal est union, conjonction, totalité. Toute jouissance est imaginaire, et la jouissance réelle exige donc un lieu où l'imagination devienne réelle, miroir réel de corps imaginaux."
"Pour conclure, j'aimerais citer une phrase de Proust, aussi fidèle au tempo de la mélodie intérieure qu'elle est proche de ce que Sadrâ nous dit de la sensation d'outremonde :
"Tout à coup je m'endormais, je tombais dans ce sommeil lourd où se dévoilent pour nous le retour à la jeunesse, la reprise des années passées, des sentiments perdus, la désincarnation, la transmigration des âmes, l'évocation des morts, les illusions de la folie, la régression vers les règnes les plus élémentaires de la nature (car on dit que nous voyons souvent des animaux en rêve, mais on oublie que presque toujours nous y sommes nous-mêmes un animal privé de cette raison qui projette sur les choses une clarté de certitude ; nous n'y offrons au contraire au spectacle de la vie qu'une vision douteuse et à chaque minute anéantie par l'oubli, la réalité précédente s'évanouissant devant celle qui lui succède, comme une projection de lanterne magique devant la suivante quand on a changé le verre), tous ces mystères que nous croyons ne pas connaître et auxquels nous sommes en réalité initiés presque toutes les nuits ainsi qu'à l'autre grand mytère de l'anéantissement et de la résurrection."(A l'ombre des jeunes filles en fleurs).
L'Acte d'être : La Philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, 2, III : L'imagination, Christian Jambet.
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