dimanche 27 octobre 2002

"On doit se ranger du côté des opprimés en toute circonstance, même quand ils ont tort, sans pourtant perdre de vue qu'ils sont pétris de la même boue que leurs oppresseurs."

Cioran, De l'inconvénient d'être né, VIII.

"Bach était querelleur, processif, regardant, avide de titres, d'honneurs, etc. Eh bien ! Qu'est-ce que cela peut faire ? Un musicologue, énumérant les cantates qui ont la mort pour thème, a pu dire que jamais mortel n'en eut autant la nostalgie. Cela seul compte. Le reste relève de la biographie."

"La joie est une lumière qui se dévore elle-même, intarissablement ; c'est le soleil à ses débuts."


Oisiveté


""Est-ce que j'ai la gueule de quelqu'un qui doit faire quelque chose ici-bas ?" - Voilà ce que j'aurais envie de répondre aux indiscrets qui m'interrogent sur mes activités."

"Personne ne clame qu'il se porte bien et qu'il est libre, et pourtant c'est ce que devraient faire tous ceux qui connaissent cette double bénédiction. Rien ne nous dénonce davantage que notre incapacité de hurler nos chances."


Enfer


"Ce qui rend les mauvais poètes plus mauvais encore, c'est qu'ils ne lisent que des poètes (comme les mauvais philosophes ne lisent que des philosophes), alors qu'ils tireraient un plus grand profit d'un livre de botanique ou de géologie. On ne s'enrichit qu'en fréquentant des disciplines éloignées de la sienne. Cela n'est vrai, bien entendu, que pour les domaines où le moi sévit."

"En tant qu'orang-outan proprement dit, l'homme est vieux ; en tant qu'orang-outan historique, il est relativement récent : un parvenu, qui n'a pas eu le temps d'apprendre comment se tenir dans la vie."

"Toute ma vie j'aurai vécu avec le sentiment d'avoir été éloigné de mon véritable lieu. Si l'expression "exil métaphysique" n'avait aucun sens, mon existence à elle seule lui en prêterait un."

De l'extérieur, dans tout clan, toute secte, tout parti, règne l'harmonie ; de l'intérieur, la discorde. Les conflits dans un monastère sont aussi envenimés que dans n'importe quelle société. Même lorqu'ils désertent l'enfer, les hommes ne le font que pour le reconstituer ailleurs."


Jargon


""C'est le propre de toute forme parfaite que l'esprit s'en dégage de façon immédiate et directe, tandis que la forme vicieuse le retient prisonnier, tel un mauvais miroir qui ne nous rappelle rien d'autre que lui-même."

En faisant cet éloge - si peu allemand - de la limpidité, Kleist n'avait pas songé spécialement à la philosophie, ce n'est pas en tous cas elle qu'il visait ; il n'empêche que c'est la meilleure critique qu'on ait faite du jargon philosophique, pseudo-langage qui, voulant refléter des idées, ne réussit qu'à prendre du relief à leurs dépens, qu'à les dénaturer et à les obscurcir, qu'à se mettre lui-même en valeur. Par une des usurpations les plus affligeantes, le mot est devenu vedette dans un domaine il devrait être imperceptible."


mardi 22 octobre 2002

Keiko l'orque vedette ne redeviendra jamais "sauvage" malgré 20 millions de dollars dépensés pour ça... La Connerie culmine toujours dans les bonnes intentions des "bonnes gens". La dictature des grands sentiments. C'est comme si on forçait Tosca à redevenir sauvage... la tronche qu'il ferait en attendant qu'une boite de whiskas tombe de l'arbre !
Ces crétins, parce qu'ils ne s'aiment pas eux-mêmes, oublient que la plupart des animaux aiment la compagnie des hommes, et la trouvent agréable. C'est même comme cela qu'a commencé la domestication.

jeudi 17 octobre 2002

Brigitte Friang, résistante, déportée, reporter de guerre : "Le danger c'est très amusant : on se vérifie soi-même."
Et aussi : "J'aime bien la guerre au fond, on rencontre des gens merveilleux."

mardi 15 octobre 2002

Les monts de Géorgie


"L'ombre a voilé les monts de Géorgie
devant moi gronde l'Aragva
Je me sens libre et plein d'une peine sereine
Et ma tristesse est claire
de ton seul souvenir
Nulle angoisse poignante ne blesse ma mélancolie
Et l'amour se reprend à embraser un coeur
qui sans amour serait sans vie."

Alexandre Pouchkine, Poésies

vendredi 11 octobre 2002

Exposition Matisse Picasso. Naturellement si l'on reproche à Matisse d'être décoratif, hédoniste, émotif, c'est qu'on ne connait rien à l'art islamique.
Mais l'hermétisme de Picasso (qui au fond sait vraiment lire un papier collé) n'est-il pas ultra-occidental ?

Le meneur de cheval, 1906, huile sur toile, Picasso. La beauté de ce cheval, élégant, sensuel et doux, le cheval tel que savent les peindre les Espagnols, comme Vélasquez. A côté le jeune garçon nu, corps d'étalon lui aussi, deux jeunes bêtes dans un espace. Le visage un peu abruti du garçon, moins éveillé que le regard du cheval, les portraits d'animaux chez Picasso sont toujours les plus humains.

Il y a aussi ces trois corps lourds gauches et attendris penchés sur la minuscule petite tortue, perle rouge perdue dans le vert (Baigneuses à la tortue, 1908, huile sur toile, Matisse).

Les sculptures de Matisse sont moins bonnes, il modèle, il ne sculpte pas.

Femme nue aux bras levés, huile sur toile, Picasso : Grâce impudente, nonchalente. Ces études pour nu debout, gravures sur bois, qui sont comme comme des images de lianes et de fougères dans la jungle. Le beau Nu allongé de Matisse, encre de Chine, 1906 : cette toison pubienne décalée sur la gauche, tout près d'être tronçonnée par le bord du papier.

Il n'y aucun tableau de Max Ernst, Chirico ou Magritte qui atteigne au surréalisme inquiétant de la Leçon de piano, 1916. Ce triangle comme détaché du volet qui masque la partie supérieure gauche du visage de l'enfant, pointée vers le le métronome.

Les Trois musiciens, Picasso, 1921, huile sur toile : Variations partant des visages nègres, toute une gamme de bruns chocolats sur les murs, le sol.

Lorette sur fond noir, robe verte, 1916, Matisse. Je ne sais pourquoi cette femme aux yeux baissés me fait penser à l'Ada tel que la voit Van, dans Ada ou l'ardeur, et "son cou japonais".

Nature morte au pichet et aux pommes, 1919, Picasso , là aussi, il est Espagnol, c'est du pur Zurbaran.

Le peintre, 1934, Picasso : un modèle convulsé, révulsé, mauve et vert, couleurs émotives, et presque en dehors du tableau, le peintre : jaune net, une toile bleue nette. Pas d'émotion : le regard, le crayon.

Le beau visage du Rêve de Matisse : le sommeil absolu des chats ; douce mélancolie du Nu au fauteuil rouge, Picasso ; très belle tête de Marie-Thérèse en bronze, 1931 ; le cynisme rigolard de l'Aubade (Picasso, 1942), est-il ici question de musique ? Bien sûr que non, ce dont il s'agit c'est d'un corps nu féminin étendue sur un divan, un corps qui écoute et qui en jouit, et l'autre, le musicien, ce couillon en bleu et vert, à qui on ne demande que cela, cette prestation.Naturellement un très beau Minotaure en papier collé, on termine sur les nus bleus, je me demande ce que donne la chapelle aux vitraux de Matisse, ma mère me dit qu'elle donne la même impression bienfaisante et heureuse qu'une mosquée. La peinture de Matisse me fait penser à ce que disait Jean-Edern Hallier, sur les initiales de Jean-René Huguenin, Je rends Heureux. La peinture de Matisse rend heureux. Celle de Picasso c'est le plaisir de l'intelligence, de débrouiller la construction, d'ébahissement aussi devant ces assemblages, Intelligences agentes, du monde des Fixes.

lundi 7 octobre 2002

Humanisme


"M'Bemba finit en citant Aimé Césaire : "Ce que la bourgeoisie humaniste ne pardonne pas à Hitler, c'est l'humiliation de l'homme blanc. C'est qu'il a appliqué à l'Europe les mêmes supplices que ceux infligés depuis des siècles à l'Algérie et aux coolies de l'Inde."


samedi 5 octobre 2002

Jean-Baptiste Gouffet, Leçons de Ténèbres. Déploration, mais de la tenue. Une modestie fraîche, le beau 17ème, même si l'on est en 1706. Le temps où l'on vouvoyait Dieu encore.

Vocation


"Chacun sa vocation. Je pense qu'il existe certains braqueurs qui se font passer pour des terroristes, mais pas plus que des bourgeois qui se font passer pour des révolutionnaires, ou des journalistes qui se font passer pour des écrivains. L'essentiel, c'est d'être fait pour ce qu'on veut faire. L'authenticité enclenche tout le reste. Spaggiari était né pour être voleur comme Rouillan pour être terroriste et moi pour être artiste. Ce sont des destins qui ne s'inventent pas. Après, chaque apôtre prend ses risques."

vendredi 4 octobre 2002

El Gran Barroco de Bolivia, toujours à me tirer des larmes ce CD... triste soir de deuil et d'amour éternel... Laudate pueri Dominum...Cette marche des violons, saccadé velouté, laudate nomen Domini, il faut avancer dans le grand hiver. Et cette voix de soprane, droite, lumineuse et condensée comme une hématite, voix d'agneau promise au couteau d'Abraham, est-ce que la main de l'ange l'arrêtera cette fois-ci...Dixit Dominus... Hoy la tierra produce una rosa... Cierto es... Desde un laurel frondoso... Miserere mei, Deus... A quién no mueve a dolor ? Quien sera ? A este festejo y concurso... les violons recommencent, flambeaux oscillants, s'étreindront, ne s'éteindront pas, la voix encore, candeur... lances des glaciers fiers, tout reprend.

Les oreilles de Kafka


"Dimanche 26 octobre 1986. - Fatigue. Désabusement. Et j'ai encore la force de mouiller à la gouache quelques portraits de Kafka. Pourquoi Kafka ? Je n'en sais rien moi-même. Peut-être à cause des oreilles."


Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.