Je re-relis la Correspondance de Léautaud. Toujours séduite par ce style incroyable, cette tenue et, en même temps, ce naturel. Il écrit comme on fait la conversation. Ce quelque chose de 'très français'. Banal de dire ça, mais c'est vrai. Il y avait un art, un genre de la correspondance – avant le téléphone, on écrivait pour un oui, pour un non – que les mails font revenir, peut-être.
Je suis d'avis que Léautaud a une des meilleures plumes françaises. Et ses saillies à mourir de rire, si fines, qui font mouche :
J'aime aussi la démesure et l'acharnement qu'il met – on devait le trouver collant, casse-couilles, grossier – à sauver chiens et chats de la si admirable gentillesse humaine, à sermonner tout le monde pour les colliers avec adresse, et les propriétaires qui se débarrassent d'un chat ou d'un chien pour un plus jeune, et les indifférents de la vivisection, etc., tout en étalant le mépris que l'humanité lui inspire, ce qu'on lui a pas mal reproché, et il renchérissait, narquois :
""Une revue faite en dehors de tout intérêt", disait-il. Je me suis retenu pour ne pas le complimenter sur cette si juste appréciation."
"Vous continuez aussi à n'avoir pas de chance. Cela tourne à la vocation."
"Les actrices se croient généralement obligées, dès qu'elles jouent des personnages antiques ou mythologiques, de prendre des poses plastiques, hiératiques, de psalmodier comme des prêtresses. Elles veulent jouer aux vases grecs, et font les cruches."
"On m'a rapporté - ce n'est pas l'intéressé - que lors de la rupture, elle lui écrivit pour le consoler et lui remontrer qu'après tout il n'était pas à plaindre, ayant joui du "joli jardin de sa chair". Joli, si on veut, mais jardin, quand on la connaît ?... Une plate-bande, tout au plus."
J'aime aussi la démesure et l'acharnement qu'il met – on devait le trouver collant, casse-couilles, grossier – à sauver chiens et chats de la si admirable gentillesse humaine, à sermonner tout le monde pour les colliers avec adresse, et les propriétaires qui se débarrassent d'un chat ou d'un chien pour un plus jeune, et les indifférents de la vivisection, etc., tout en étalant le mépris que l'humanité lui inspire, ce qu'on lui a pas mal reproché, et il renchérissait, narquois :
"Il ne fait pas bon de montrer de l'intérêt aux bêtes, en ce moment. On vous regarde presque aussitôt de travers. "Mais les gens, Monsieur ! les enfants, Monsieur !" Oh! les gens, les enfants ! Je sais ce que sont les premiers pour la plupart, et par eux ce que seront les seconds."
À cette Humanité si pénétrée de ses propres qualités, il renvoie à la face le malheur des bêtes. Pas la peine d'aller chercher très loin les bourreaux : famille sans histoire qui jette à la rue un barbet pour acquérir un épagneul, concierge qui piège les chats pour les noyer, ouvriers typographes qui brûlent vif des rats, jusqu'à ce conducteur de trolley-bus, qui ne 'pense pas' à couvrir de la bâche prévue pour cela, ses chevaux, un jour de pluie battante. La banale humanité des bourreaux : indifférence ou gros rire amusé, que ce soit pour écrabouiller son prochain ou frapper un griffon. On aimerait que le Christ ait dit "ce que vous ferez à un de ces petits – et aux bêtes aussi – c'est à moi que vous le ferez."
Et donc, oui, j'aime la 'misanthropie' de Léautaud, qui passe deux guerres en haussant les épaules sur la connerie des hommes et ne se soucie que du ravitaillement de sa ménagerie.
"J'ai pour les bêtes, toutes les bêtes, un coeur de concierge, et de vieille concierge. Si j'avais l'habitude des phrases poétiques, je dirais que je me sens le frère de ces vieilles femmes à cabas qui portent le soir à manger, aux grilles des jardins publics, aux chats sans patrons. Je ne donne jamais un centime aux pauvres, le spectacle des gens écrasés m'est indifférent, les gens qui pleurent aux enterrements me semblent très laids, et quand ma chère bien-aimée est malade, je vais me promener. Mais mon chat est le maître chez moi, mes fenêtres sont pleines de pain pour les oiseaux, je pars chaque matin avec des provisions de pain que je distribue à tous les moineaux de ma route, je donne du sucre aux chevaux de fiacre dont la misère finira par m'empêcher de sortir, j'achète de la viande aux chiens perdus que je rencontre, et si je m'écoutais, et si je le pouvais, ma maison serait pleine de bêtes, au lieu que j'y sois seul, car vous pouvez vous en douter, vous, un de ses oncles ! est bigrement loin d'être une bête. Que de cochers de fiacres j'ai dans mes relations, pour bavarder de temps en temps avec eux, et que de bonnes bêtes, dans mon quartier, qui me connaissent."
"Vous me jugez ridicule ? Moi, je vous trouve ignobles !" Le misanthrope renvoie toujours à la face du 'brave homme' l'horreur de sa bonté sélective celle qui fait le tri.
"... Mme Angèle m'a raconté qu'un aveugle à canne blanche, dans les couloirs du métro, faisait peine aux passants qui lui cédaient le pas et le regardaient avec tristesse. Soudain on le surprend qui, lunettes relevées, déchiffre un plan sur un mur. Ce n'était qu'un myope un peu poseur. Ceux qui le plaignaient, qui l'aidaient, se précipitent sur lui, le giflent, le houspillent. En somme, et tout compte fait, ils le punissaient d'y voir..."