vendredi 5 novembre 2010

Le Décalogue, c'est pour les trouillards




Réécouté une des émissions d'Enthoven sur Vladimir Jankélévitch, celle appelée "Un amour de morale", mais qui pourrait tout aussi bien s'intituler "Amour et morale" ou "Morale d'amour". Tout au début, quelqu'un dit que la morale de Jankélévith était tout, sauf un Décalogue, et j'approuve et je me fais cette réflexion que le Décalogue, c'est bon pour les trouillards, ceux qui se soucient plus de faire un parcours "sans faute" pour leur salut personnel, que du bonheur ou de la sauvegarde de l'Autre (ce dernier terme au sens jankélévitchien mais aussi l'Autre de Levinas). 

La véritable morale, la morale intérieure et son inconfort, la loi du cœur, c'est peut-être l'anti-Décalogue. Rien n'est sûr, rien n'est fixe. À chaque croisée de la route, revoici le tiraillement et le doute, sentir qu'il n'y a peut-être jamais de "bon choix", mais hélas toujours la moins mauvaise des solutions possibles ; le cap laissé à cet élan profond, intérieur et bien mystérieux qui pousse en un sens plutôt qu'un jour, et jamais pour toujours, jamais de la même façon, ce côté "Yi King, Livre des changements", où le mauvais c'est ce qui reste figé. 

Savoir qu'un acte n'est jamais bon ou mauvais en soi, et tout remettre en question, toujours, voilà le moraliste, éternellement tendu entre crainte d'errer et méfiance envers sa propre "bonne" conscience, ce sentiment suspect d'avoir "bien"agi, pire encore, d'avoir "fait son devoir", en attendant plus ou moins ouvertement d'en récolter les fruits pour son propre compte. 

Au contraire de cela, du fil de rasoir sur lequel danse le moraliste, ne jamais se dire "au moins, j'aurais obéi à ce qui m'est commandé", ou l'horrible : "si je n'ai pas fait de bien, du moins je n'ai pas fait de mal", dans ce respect bourgeois du règlement de copropriété d'ici-bas, avec l'excuse que l'on se donne en cas de doute : Si la règle a tort, ce n'est pas ma faute, ce n'est pas moi qui l'ai faite. La morale du cœur, c'est la haine du règlement. Mais on ne sait pas non plus comment "bien" aimer.

Peut-être, malgré tout, un indice. Il est toujours très difficile, avec un peu d'honnêteté, de sentir, si  l'on fait un pas, où est le bien, où est le mal. Mais une parole, un geste sont plus immédiatement et plus facilement ressentis comme vilains (au sens de laid) ou beaux que dignes d'opprobre ou d'approbation. "Le Beau est le Bien de Platon", en somme. 

Peut-être qu'il n'y a pas de bons ou de mauvais choix à discerner, à moins d'être Dieu, peut-être qu'il n'y a que de belles ou de laides actions. Ainsi, le contraire de la morale, plus que la religion, serait le manque de goût.

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.