Ce monde est un monde d'espoir et un monde condamné, un univers à jamais clos et un univers infini, celui de l'injustice et celui de la faute. Ce que lui-même dit de la connaissance religieuse : "La connaissance est à la fois degré menant à la vie éternelle et obstacle dressé devant cette vie". doit se dire de son œuvre : tout y est obstacle, mais tout aussi peut y devenir degré. Peu de textes sont plus sombres, et pourtant, même ceux dont le dénouement est sans espoir, restent prêts à se renverser pour exprimer une possibilité ultime, un triomphe ignoré, le rayonnement d'une prétention inaccessible.
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"Après la mort d'un homme, dit Kafka, un silence particulièrement bienfaisant intervient pour peu de temps sur la terre par rapport aux morts, une fièvre terrestre a pris fin, on ne voit plus un mourir se poursuivre, une erreur semble écartée, même pour les vivants c'est une occasion de reprendre haleine, aussi ouvre-t-on la fenêtre de la chambre mortuaire – jusqu'à ce que cette détente apparaisse illusoire et que commencent la douleur et les lamentations."
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Si la nuit, soudain, est mise en doute, il n'y a plus qu'une lumière vague, crépusculaire, qui est tantôt souvenir du jour tantôt regret de la nuit, fin du soleil et soleil de fin. L'existence est interminable, elle n'est plus qu'un indéterminé dont nous ne savons si nous en sommes exclus (et c'est pourquoi nous y cherchons vainement des prises solides) ou à jamais enfermés (et nous nous tournons désespérément vers le dehors). Cette existence est un exil au sens le plus fort : nous n'y sommes pas, nous y sommes ailleurs et jamais nous ne cesserons d'y être.
Maurice Blanchot, De Kafka à Kafka
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