Penser, c'est morceler en idées nettes et incompatibles le réel complexe, dont l'essence est l'indivisibilité concrète ; agir, c'est choisir une de ces idées abstraites et exclure ainsi toutes autres idées abstraites qui lui sont étroitement liées. Surmonter tout artifice de l'intelligence morcelante et par là tout choix nécessairement arbitraire de l'homme, c'est retrouver le bonheur primitif de l'humanité plongée dans l'harmonie universelle.
Alors que traumatisée par le totalitarisme du siècle dernier, la doxa contemporaine ne cesse d'insister sur la promotion des différences, la nécessité de la "diversité", la quête du métissage (cet épouvantable mot consacré par le Code noir tout de même), l'amour du pluralisme, enfin tout ce qui est altérité en apparence, il est frappant de voir que pour Tchouang-Tseu, comme pour Plotin et tant d'autres sages du temps passé, le Mal, c'est la perte de l'unité, la volonté d'être soi et non l'Un, la pluralité "morcelante" et non plus l'indistinction dans l'Union. Pour Tchouang Tseu, ce qui éloigne de la source, c'est la pensée ; pour Plotin, c'est ce qui y ramène, allez savoir. Pour Plotin, retrouver l'Un nécessite de se dépouiller de tout ce qui n'est pas Lui, et donc choisir ; pour Tchouang Tseu, il faut cesser de vouloir choisir ; il n'y a pas de liberté hors de l'illusion.
Tchouang-Tseu, Oeuvre complète, introduction et trad. Liou Kia-hway.
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