"La vraie punition des farceurs, c'est la perte de leur ipséité : comme ils ne sont plus ni ce qu'ils sont et qu'ils ensevelissent dans le silence,,ni ce que les autres croient qu'ils sont et qu'ils ne sont que par escroquerie, il faut conclure qu'ils ne sont plus rien du tout. Ce sont des âmes en peine, des consciences spectrales, et j'imagine que l'amour ou l'admiration même que les autres éventuellement leur portent est un amour qui fait mal, puisqu'il s'adresse non pas à leur ipséité, mais au rôle qu'ils assument. Le mensonge fait donc du moi un fantôme ; le mensonge enveloppe ce fantôme dans une tunique isolante qui arrête ou réfracte les mouvements afférents issus du non-moi, intercepte enfin toute la chaleur rayonnée par l'amour des hommes. Dans ces conditions, je ne vois que deux remèdes, le premier qui est d'en sortir un beau jour par un acte de brusque et coûteuse franchise, l'autre qui est d'adhérer à son rôle au point que la deuxième nature devienne la première, au point que la tunique se confonde avec l'épiderme. La première solution fait mal, étant le coup de bistouri en pleine astuce, l'aveu tragique, le mea culpa de Nikita à la fin de la Puissance des ténèbres. Et quant à la deuxième, qui est dans la manière des mythomanes, elle est un peu illusionniste, si elle est moins chirurgicale : car elle fait que l'on croie à sa propre fable mais non point que cette fable devienne événement effectif, et il n'y a pas de magie, pas de suggestion qui permette ici la conversion ontologique de la croyance à l'existence."
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