"Cette prépondérance du coeur dans tous les comportements du saint se trouve illustrée, dans son cas personnel, par l'un des rêves visionnaires de son épouse, il rapporte dans son autobiographie. Ce rêve eut pour fonction de révéler qu'il avait accédé au rang des "quarante", c'est à dire les quarante saints qui soutiennent la terre. Cet événement apparut sous la forme d'une réquisition faite par un prince qui recherchait ces quarante hommes dans tout le royaume. Personne ne savait pourquoi il les demandait et tout le monde pensait qu'il voulait les faire exécuter. L'auteur du rêve réalisa enfin, dans sa vision même, que ces personnes avaient été au contraire rassemblées pour être honorées et que, grâce à elle, tout le monde se trouverait épargné : Quelqu'un dit : - C'est grâce à ces quarante que nous avons été sauvés. Et un autre ajouta : - Nous avons été sauvés par Muhammad Ibn 'Alî (Tirmidhî). Elle dit : - Je me mis à pleurer. L'homme demanda : - Pourquoi pleures-tu , alors que nous avons été sauvés par lui ? Elle répondit : "Je ne pleure pas de crainte qu'il soit atteint par le mal, mais je pleure à cause de son coeur miséricordieux : comment regarde-t-il le tranchant du sabre ? " C'est-à-dire qu'elle ne craignait pas qu'il soit blessé ou tué, mais que son coeur ne soit blessé par la simple violence évoquée par le sabre."
"Dans la même optique que l'interprétation du talion, la divulgation et le fait de répandre les turpitudes ou les erreurs des autres par la parole peuvent revenir, selon Tirmidhî, à deux buts et à deux visées. Si le but est de se protéger et qu'il fait échouer la ruse de celui qui le traite injustement, celui qui agit ainsi est loué, mais si son but est la haine et le désir de commettre une injustice et si ce qu'il vise correspond à la vie de ce bas monde, il est alors critiqué. Il loue aussi l'attitude qui consiste à se taire si Dieu lui-même a tu une injustice. Il ne convient pas, dans ce cas, de dire la vérité à tout prix, en se laissant entraîner par son propre désir de vengeance. Un tel comportement, qui correspond à l'un des principes des malâmatis recensés par Sulamî : "Ils recommandent de ne pas attirer l'attention sur le vice du prochain, à moins qu'il ne soit déshonorant", a pour première fonction d'éviter les graves conflits dans les rapports avec les hommes. Il appelle, au passage, à se conformer à l'un des principes fondamentaux de l'éthique sunnite relative à la commanderie du bien, basé à la fois sur le Coran et la Sunna et qui s'appuie sur le fait que seules les fautes extérieures, et commises devant témoins, relèvent de la réforme des moeurs. En effet, seuls les actes publics relèvent du "droit de Dieu", alors que les actes privés relèvent du "droit des hommes". Or, la vie privée, tant qu'elle n'apporte pas de trouble dans la communauté, est une affaire entre l'homme et Dieu. C'est à dire que, "Si un musulman enfreint la Loi en son privé, et que rien n'en transpire au-dehors, le devoir de réforme des moeurs ne joue pas à son égard." Ceci a pour corollaire, non seulement que le musulman ne doit pas espionner son frère, mais encore que l'homme qui s'est rendu en secret coupable de turpitudes, doit tenir sa faute cachée."
Geneviève Gobillot : Introduction au Livre des nuances ou de l'impossibilité de la synonymie (Kitâb al-furûq wa man' al-taradûf), Al-Hakîm al-Tirmidhî.
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