"1) L'analyse de la simple proposition : "je me connais moi-même", telle qu'elle se présente dans les contextes gnostiques, conduit à une idstinction fondamentale entre le "je" qui est le sujet connaissant, et le "moi" qui est l'objet connu ou reconnu. Le premier, c'est "moi" tel que je suis au cours de l'expérience quotidienne dans l'immédiat, au sein du monde de la perception sensible, "moi" subissant les sommations de ce monde du "phénomène" qui en grande partie m'oriente et me détermine. Le second, c'est "moi" tel que je suis au-delà des phénomènes et des apparences, des contingences de la genesis. C'est le moi réel, authentique et essentiel, substantiel et permanent. Sans doute est-il perçu par la connaissance intérieure comme à l'intérieur de moi-même. Mais simultanément il est perçu non pas comme un phantasme, mais comme ayant une existence objective, comme "un être qui est et demeure en soi" (mieux vaudrait parler de "soi" que de "moi") ; il est notre archétype éternel, "nous-mêmes dans notre éternité". Son existence est si bien objective qu'elle est éprouvée comme celle de l'"ange personnel", de l'"homme de lumière", du "Guide personnel", ou bien typifiée à la façon d'un vêtement d'origine céleste, ou d'une image, une icône (eikôn), Double ou "Jumeau céleste".
"2) La connaissance de soi aboutit à l'union, ou plutôt à la réunion de ce moi apparent (le "je" qui connaît) et de ce moi transcendant, et c'est redevenir "ce qu'en moi je suis et n'ai cessé d'être". Il ne semble pas, cependant, qu'il convienne de parler de fusion ni de confusion. En outre, la jonction présuppose non pas une simple réflexion, mais un retour. Le moi céleste garde sa réalité objective, comme celle du miroir qui me fait face et en qui je me connais et me reconnais.
Le miroir étant ce qui me fait connaître ma "face" réelle, briser ce miroir détruirait cette union même ; il n'y aurait plus de "visage", plus de connaissance "visage contre visage".
"La gnose est connaissance salvatrice en ce sens qu'elle sauve celui qu'elle sauve en lui dévoilant son origine. Il y a interconnexion entre connaître ce que l'on est, qui l'on est, et connaître ce d'où l'on est, celui par qui l'on est. Connaître sa race, son extraction, sa famille, c'est pour le gnostique connaître sa vraie patrie, connaître comment il était et où il était, connaître la catégorie d'êtres à laquelle il appartient."
Henry Corbin, En Islam iranien, t. II, Sohrawardî et les Platoniciens de Perse, VI, "L'histoire du gnostique".
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