"Lorsque Mollâ Sadrâ Shirazî caractérise à son tour la spiritualité ishraqî comme un entre-deux (barzakh) qui conjoint à la fois la méthode des purs soufis tendant essentiellement à la purification intérieure, et la méthode des philosophes tendant à la connaissance pure, il exprime ainsi, en toute fidélité à l'inspiration du shaykh al-Ishrâq, ce qui fait l'essence de la "théosophie orientale". Il y a en effet un certain soufisme qui a délibérément écarté, sinon méprisé, tout enseignement philosophique comme suspect de retarder le spirituel dans son effort vers le but ; et il y a une philosophie qui a ignoré ce but, en se satisfaisant de ses problèmes théoriques. Pour un ishrâqî, un "oriental" de l'école de Sohrawardî, le mystique dépourvu de formation philosophique est en grand péril de s'égarer ; en revanche, le philosophe qui ignore que sa philosophie doit éclore en une réalisation spirituelle personnelle, gaspille son temps en une recherche inutile.
Ce n'est ni à l'un ni à l'autre que s'adresse le livre de la Théosophie orientale, lequel suppose tout d'abord une sérieuse formation philosophique chez son lecteur. Celui-ci aura dû commencer par étudier la philosophie péripatéticienne, discutée tout au long des ouvrages formant la trilogie propédeutique. Mais la seconde condition est que ce lecteur ne veuille pas en rester là. L'école ishrâqî n'est ni une tarîqat (congrégation) de soufis, ni un club de philosophes."
"Un troisième trait enfin n'est autre que celui qui caractérise la personne du Pôle mystique, l'Imâm caché, comme détenant la seule autorité irrécusable, celle de l'Esprit. On dira sans doute que l'idée s'en retrouve ailleurs, en d'autres régions religieuses ou mystiques. Certes, on le rappellera ici même au cours des pages qui suivront, parce que s'en trouve confirmée la signification universelle. On peut même dire que la théosophie shî'ite duodécimaine, chez Qâzî Sa'îd Qommî par exemple, a trouvé dans l'idée de l'Imâm le fondement d'une théologie générale des religions. Dans cette mesure même apparaît dérisoire l'explication consistant à dire qu'il était naturel qu'une communauté malheureuse cherchât, après coup, dans cette idée et dans l'attente de la parousie de l'Imâm une compensation à son échec temporel. En général, ce genre d'explication est professé par ceux qui restent complètement étrangers au fait spirituel de la foi vécue. En tout cas, nous nous le sommes déjà demandé, quelle est la valeur de ce genre d'explication, lorsqu'il s'agit de la Perse depuis l'époque safavide ? La position du shî'isme n'y était nullement celle d'une minorité persécutée. Non, ni les propos de Sohrawardî concernant le pôle, ni ceux des penseurs shî'ites concernant l'Imâm caché, ne dépendent des contingences historiques. Ils visent une vérité d'essence, une revendication permanente, l'unique souveraineté de l'Esprit."
Henry Corbin, En Islam iranien, t. II, Sohrawardî et les Platoniciens de Perse, II, La théosophie orientale, 2, "La hiérarchie des Spirituels et le "Pôle" mystique".
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