"Vous vous réveillez un beau matin vers la fin de l'automne et vous remarquez que la teinte de toutes les choses a changé. Le ciel a des nuances de perle plus profondes. Le soleil se lèvre comme une boule de sang, et il y a de la neige sur l'Albanie. La mer est de plomb, apathique, et les oliviers sont d'un gris platine intense. Des feux fument dans les villages, et l'haleine de Maria forme un petit nuage blanc devant sa bouche quand elle emmène ses moutons vers la pointe. Elle reste toute la matinée accroupie parmi les fougères et les myrtes, en chantant de sa petite voix fatiguée de sorcière, tandis que les clochettes de ses moutons tintent tristement autour d'elle. Enveloppée dans une couverture rapiécée, chaussée de vieilles savates de cuir, elle file une laine grossière sur sa quenouille. Plus tard, sur le métier de la remise, Hélène tissera les rudes couvertures de couleur que les bergers emportent avec eux quand ils gardent leurs moutons au début de l'hiver. Maria regarde les jeunes femmes qui cueillent les olives, et crache d'un air méprisant avant de reprendre sa petite chanson - qui parle de deux corbeaux perchés sur un olivier. Au loin, sur le chenal la silhouette noire d'un bateau immobile, comme un insecte posé sur une feuille. Il est temps de couper des bûches pour la grande cheminée que nous avons construite nous-mêmes, et qui empliront notre salle de la riche odeur de cyprès, de goudron, de vernis et d'huile de lin. Il est temps de se préparer aux premières bourrasques."
Lawrence Durrell, L'île de Prospero.
Lawrence Durrell, L'île de Prospero.
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