samedi 12 juillet 2008

Le Saint de l'île


"La prière est une sorte de marché, et l'on se conduit avec le Saint avec une grossière familiarité. Le ton de la voix (c'est-à-dire le timbre de la voix intérieure, car si les lèvres bougent, la prière est muette) est celui que l'on prendrait avec un enfant récalcitrant. Il ne s'agit pas de l'implorer humblement, en acceptant par avance ses décrets ; le suppliant, quelle que soit sa requête, estime qu'elle mérite d'être prise en considération, qu'elle est conforme à la plus élémentaire logique. C'est ce que l'on pourrait appeler "le style persuasif", et qui demande de la part du Saint une attitude non moins déterminée. Il n'est pas rare en effet que de telles requêtes non seulement ne soient pas prises en considération, mais que de nouveaux fardeaux accablent le malheureux solliciteur. Ainsi Karamanos, le constructeur de canots, qui essaya d'obtenir la guérison de son épilepsie par des prières prolongées et de très nombreuses offrandes de cierges : non seulement son épilepsie empira, mais il contracta par-dessus le marché une méningite dont il faillit mourir. Sa femme expliquait la chose en disant que le Saint avait vu à travers lui, et qu'il avait décelé en lui un libertin au langage ordurier. Karamanos était pourtant le personnage le plus modeste, le plus pieux et le plus travailleur du village ; le Saint avait-il une vue plus pénétrante que nous tous, ou bien l'avait-il confondu avec son frère Basile qui, lui, répondait assez bien à la description ?"

Lawrence Durrell, L'île de Prospero.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.