lundi 5 mai 2008

Vers le poème inachevé


"Les amis voulaient faire du feu. Je leur dis :
"Si vous craignez le froid, chauffez-vous à mon coeur !
La pensée de Laylâ l'envahit, l'incendie
Comme autant de tisons, et de la pire ardeur.
- Veux-tu que nous buvions, me dit-on, nous et toi ?
- Soit ! venez donc vous rafraîchir à ma rivière !
- Mais où est-elle ?
- Ici, coulant à mes paupières :
Plus riche qu'un grand puits, elle vous comblera.
- Et la raison de tout cela ?
- Eh bien, l'amour !
- Quelle honte, par Dieu !
- Pardonnez-moi, de grâce :
Quand le visage de Laylâ brille au grand jour,
Devant lui, et lui seul, lune et soleil s'effacent.
Si sa pensée me vient en tête, mon esprit
Se déchire et tourmente à la chercher des yeux.
Son visage, face à la lune, est si gracieux
Que l'avantage lui revient, sans contredit.
Croissant de lune, tout en haut, sommé de noir,
Elle est, plus bas, taille élancée, frémissements,
Silhouette légère, mince... un être à part,
Le rose aux joues, et le sourire rayonnant,
La jambe ferme, à la chair douce, à la chair pleine,
Et la courbe lustrée où s'ordonnent les dents...
- Alors, tu serais fou ?
- Disons que je promène,
De désert en désert, le même égarement.
L'ange de mort, de paix, ne m'apaisera pas :
Aussi bien, déjà mort, je souffre tous les maux."
La colombe annonçait : "Bientôt, plus de Laylâ !"
Sa chanson descendait, la nuit, d'un vert rameau.
Sur un grand arbre : au pied, se donnait libre cours
Une eau vive jaillie des lèvres du rocher.
La gorge de l'oiseau se parait, tout autour,
De l'ampleur épanouie et noire d'un collier.
Ah ! Savait-il combien, en ses plus hauts accents,
Sa plainte chavirait un coeur en mal d'aimer ?
"Recommence", disais-je, et son cri de monter,
Et sur mon sein les pleurs de couler, impatients.
Mais il partit, toujours plus loin, et j'eus au coeur
Une aile de corbeau qui volait vers son nid.
C'était l'adieu, d'un feu tenace je fus pris,
Sous l'adieu je pliai : c'était trop de douleur.
Quand je vis s'en aller les chameaux, je me crus
Abreuvé d'un sang de serpent, et déjà mort.
Oui, je saigne et je succombe : un amour éperdu
M'a ravagé le coeur... mais en aie-je un encor ?
C'est la main du destin : sur moi, pris en défaut,
Sur ma poitrine, en plein, son arc m'a décoché
Deux traits empoisonnés venus, depuis là-haut,
Me saisir, gorge et coeur de rouge éclaboussés.
Laisse-moi, toi mon rêve, attaché à l'amour :
Je suis mort, sans tombeau qu'on puisse visiter.
Serais-tu eau ? Alors, de la pluie tu es née.
Sommeil ? Du ciel dormant encor au petit jour.
La nuit ? Dans l'ombre, alors, la lune qui se lève.
Ah ! Dieu te sauve, toi, ô mon rêve des rêves,
Toi qui me tues, d'ici à la Résurrection !"

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.