vendredi 11 janvier 2008

La Passion Béatrice

"Le second portrait précieux de la galerie Barberini est du Guide ; c'est le portrait de Beatrix Cenci, dont on voit tant de mauvaises gravures. Ce grand peintre a placé sur le cou de Beatrix un bout de draperie insignifiante ; il l'a coiffée d'un turban ; il eût craint de repousser la vérité jusqu'à l'horrible, s'il eût reproduit exactement l'habit qu'elle s'était fait faire pour paraître à l'exécution, et les cheveux en désordre d'une pauvre fille de seize ans qui vient de s'abandonner au désespoir. La tête est douce et belle, le regard très doux et les yeux fort grands : ils ont l'air étonné d'une personne qui vient d'être surprise au moment où elle pleurait à chaudes larmes. Les cheveux sont blonds et très beaux. Cette tête n'a rien de la fierté romaine et de cette conscience de ses propres forces que l'on surprend souvent dans le regard assuré d'une fille du Tibre, di una fliglia tel Tevere, disent-elles d'elles-mêmes avec fierté. Malheureusement les demi-teintes ont poussé au rouge de brique pendant ce long intervalle de deux cent trente-huit ans qui nous sépare de la catastrophe dont on va lire le récit."

Au moment de son exécution, cette note de Stendhal qui en dit long sur la préoccupation majeures du christianisme, celle de la damnation et son indifférence à la mort en soi, qui explique tant de choses, notamment l'inquisition et le "tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !"

"Un auteur contemporain raconte que Clément VIII était fort inquiet pour le salut de l'âme de Beatrix ; comme il savait qu'elle se trouvait injustement condamnée, il craignait un mouvement d'impatience. Au moment où elle eut placé la tête sur la mannaja, le fort Saint-Ange, d'où la mannaja se voyait fort bien, tira un coup de canon. Le pape, qui était en prière à Monte-Cavallo, attendant ce signal, donna aussitôt à la jeune fille l'absolution papale majeure, in articulo mortis. De là le retard dans le cruel moment dont parle le chroniqueur."

Stendahl rapporte aussi avec flegme que l'âme de Beatrix se trouva fort accompagnée lors de sa montée au ciel :

"Pendant qu'on mettait en ordre la mannaja pour la jeune fille, un échafaud chargé de curieux tomba, et beaucoup de gens furent tués. Ils parurent ainsi devant Dieu avant Beatrix."

"Le soleil avait été si ardent, que plusieurs des spectateurs de cette tragédie moururent dans la nuit, et parmi eux Ubaldino Ubaldini, jeune homme d'une rare beauté et qui jouissait aupatavant d'une parfaite santé. Il était frère du signor Renzi, si connu dans Rome. Ainsi les ombres des Cenci s'en allèrent bien accompagnées."

Stendhal, Chroniques italiennes, Les Cenci.

Je me demande si cette histoire, et jusqu'au prénom, n'a pas inspiré Tavernier pour La Passion Béatrice.


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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.