lundi 3 décembre 2007

Chroniques italiennes


Ou pourquoi les femmes italiennes avaient meilleur goût que les Françaises concernant leurs mâles... Tout ça, c'est grâce aux brigands et aux tyrans.

"Le mélodrame nous a montré si souvent les brigands italiens du XVI° siècle, et tant de gens en ont parlé sans les connaître, que nous en avons maintenant les idées les plus fausses. On peut dire en général que ces brigands furent l'opposition contre les gouvernements atroces qui, en Italie, succédèrent aux républiques du Moyen-Âge. Le nouveau tyran fut d'ordinaire le citoyen le plus riche de la défunte république, et, pour séduire le bas peuple, il ornait la ville d'églises magnifiques et de beaux tableaux. Tels furent les Polentini de Ravennes, les Manfredi de Faenza, les Riario d'Imola, les Cane de Vérone, les Bentivoglio de Bologne, les Visconti de Milan, et enfin, les moins belliqueux et parmi les plus hypocrites de tous, les Médicis de Florence. Parmi les historiens de ces petits Etats, aucun n'a osé raconter les empoisonnements et les assassinats sans nombre ordonnés par la peur qui tourmentaient ces petits tyrans ; ces graves historiens étaient à leur solde. Considérez que chacun de ces tyrans connaissaient personnellement chacun des républicains dont il savait être exécré (le grand-duc de Toscane, Côme, par exemple, connaissait Strozzi), que plusieurs de ces tyrans périrent par l'assassinat, et vous comprendrez les haines profondes, les méfiances éternelles qui donnèrent tant d'esprit et de courage aux Italiens du XVI° siècle, et tant de génie à leurs artistes. Vous verrez ces passions profondes empêcher la naissance de ce préjugé ridicule qu'on appelait l'honneur, du temps de Mme de Sévigné, et qui consiste surtout à sacrifier sa vie pour servir le maître dont on est né le sujet et pour plaire aux dames. Au XVI° siècle, l'activité d'un homme et son mérite réel ne pouvaient se montrer en France et conquérir l'admiration que par la bravoure sur le champs de bataille et dans les duels ; et, comme les femmes aiment la bravoure et surtout l'audace, elles devinrent les juges suprêmes du mérite d'un homme. Alors naquit l'esprit de galanterie, qui prépara l'anéantissement successif de toutes les passions et même de l'amour, au profit de ce tyran cruel auquel nous obéissons tous : la vanité. Les rois protégèrent la vanité et avec grande raison : de là l'empire des rubans.

En Italie, un homme se distinguait par tous les genres de mérite, par les grands coups d'épée comme par les découvertes dans les anciens manuscrits : voyez Pétrarque, l'idole de son temps ; et une femme du XVI° siècle aimait un homme savant en grec autant et plus qu'elle n'eût aimé un homme célèbre par la bravoure militaire. Alors on vit des passions, et non pas l'habitude de la galanterie. Voilà la grande différence entre l'Italie et la France, voilà pourquoi l'Italie a vu naître les Raphaël, les Giorgione, les Corrège, tandis que la France produisait tous ces braves capitaines du XVI° siècle, si inconnus aujourd'hui et dont chacun avait tué un si grand nombre d'ennemis."

"L'abbesse de Castro", Chroniques italiennes, Stendhal.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.