mercredi 24 octobre 2007

Des différentes sortes de mendiants

Djâhiz, dans son Livre des avares, racontant une anecdote sur Khâlid ibn Yazîd explique à la fin les différentes catégories de mendiants fripons et rusés auxquels Khâlid a fait allusion :

"M.kh.trânî : ce mot désigne l'homme qui se présente dans des vêtements d'ascète et vous fait croire que Bâbek lui a coupé la langue à la base parce qu'il était muezzin dans son pays. Il ouvre la bouche comme pour bâiller et onne lui voit absolument pas de langue, alors qu'en réalité la sienne est aussi grosse que celle d'un boeuf. Je m'y suis moi-même laissé prendre. Le m.kh.t.rânî doit avoir un comparse qui parle pour lui ou bien une planchette ou du papier pour écrire ce qu'il a à dire.


Kâghânî : celui qui fait semblant d'être possédé ou épileptique. Il écume au point qu'on le croit irrémédiablement possédé, tellement la crise simulée est aiguë, et qu'on s'étonne de le voir en vie avec une telle infirmité.


Bânwân : celui qui s'arrête devant la porte, tire le verrou et crie : "Bânwâ", ce qui signifie : "Seigneur".


Qarasî : celui qui entoure sa jambe ou son bras d'un bandeau qu'il serre fortement et garde pendant toute une nuit. Lorsque le membre est enflé et que le sang ne circule plus, il le frotte avec du savon et du sang-de-dragon, y fait couler quelques gouttes de beurre et l'entoure d'un bandeau qui en laisse une partie visible. En voyant cela, on ne peut douter que ce ne soit la gangrène ou quelque maladie infectieuse analogue.


Musha'ib : celui qui traite un enfant, à sa naissance, pour le rendre aveugle, lui dessécher ou lui atrophier un membre, afin que ses parents puissent l'utiliser pour mendier. Et parfois même, ce sont les parents eux-mêmes qui conduisent l'enfant au musha'ib ; il lui donnent, pour cette opération, une somme importante parce qu'alors l'enfant devient un capital productif. Ils l'exploitent eux-mêmes ou le louent pour un prix déterminé ; parfois, ils louent leurs enfants, moyennant une somme élevée, à des gens qui se rendent en Afrique du nord et le font mendier tout le long du chemin. S'ils sont dignes de confiance, on leur accorde crédit ; sinon, ils doivent fournir un garant qui réponde des enfants et du prix de la location.


F.l.w.r : celui qui fait subir un traitement à ses testicules pour donner à croire qu'il a une hernie. Parfois, il simule un cancer, un ulcère ou une tumeur aux mêmes organes ou encore à l'anus, en y introduisant un morceau de larynx avec du poumon. D'autres fois, c'est une femme qui simule ces affections au vagin.


Kâghân : le jeune éphèbe qui mendie quand il se prostitue ; il est doué de quelque beauté et capable de remplir les deux fonctions.


'Awwâ : celui qui mendie entre le coucher du soleil et la Prière du soir. Parfois, il chante, s'il a une voix agréable.


Istîl : celui qui se fait passer pour aveugle. Il peut quand il le veut, montrer qu'il a les yeux crevés ou plein d 'eau ou qu'il ne peut y voir parce que l'ophtalmie ou le rîkh as-sabal lui a fait perdre la vue.


Mazîdî : celui qui circule avec quelque menue pièce de monnaie et dit : "J'ai réuni cet argent pour acheter un vêtement (qatîfa) ; ajoutez votre obole, s'il vous plaît". Parfois, il s'encombre d'un enfant trouvé. D'autres fois encore, il demande un linceul.


Musta'rid : celui qui vous accoste. Il a une belle apparence et des vêtements décents. Il semble mourir de honte et craindre d'être aperçu par une de ses connaissances. Il vous aborde ensuite carrément et vous parle mystérieusement.


Muqaddis : celui qui s'occupe d'un mort et fait une collecte pour l'achat d'un linceul. Sur le chemin de la Mekke, il se tient près du cadavre d'un âne ou d'un chameau et prétend que l'animal lui appartient et qu'il ne peut pas continuer sa route. Il connaît les divers dialectes du Khurâsân, du Yémen et de l'Afrique du nord et s'est informé des villes, des routes et des habitants de ces pays. Il peut ainsi, quand il le désire, se faire passer pour originaire d'Ifrîqiya, de Farghana ou de l'un quelconque des districts du Yémen.


Mukaddî : mendiant importun."


Et Djâhiz conclut : "Nous n'avons expliqué ici que les mots cités par Khalawaih. Il y a infiniment plus d'espèces de mendiants, mais nous ne devons pas nous éloigner davantage de notre sujet."


Le livre des avares, Jâhiz, trad. Charles Pellat.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.