Parmi les nombreux lieux communs (doxa maxima cretissima) sur l'islam, on lit souvent que la Révélation coranique, divine, inchangeable, empêche tout mouvement hors du dogme. C'est oublier que ce n'est pas l'islam qui a tordu le cou à sa gnose, et a instauré la première "clôture", des siècles avant la fermeture de l'ijtihad, comme le rappelle Corbin : "De ce point de vue, on ne croit pas qu'exagèrent ceux qui estiment que la répression du mouvmeent montaniste marqua pour le chritianisme, dès le II° siècle, un tournant décisif. Lorsque Montan (Montanus) et ses disciples invoquent une nouvelle révélation dispensée par les Anges, on les repousse comme hérétiques commettant un attentat contre la tradition apostolique. Depuis lors, tout renouvellement, toute récurrence de la libre expression de l'Esprit sous forme de message prophétique et de vision, ou comme herméneutique prophétique des textes antérieurement révélés, ne sont plus licites. A la libre inspiration prophétique se substituent l'institution et le magistère dogmatique de l'Eglise. Dira-t-on que c'est la première qui "continue" sous une autre forme ? Ne vaut-il pas mieux convenir franchement qu'en fait il était impossible à l'Eglise de s'accommoder d'une "prophétie en liberté", des révélations spontanées de l'Esprit. Mais dès lors il faudra que la tradition se fixe dans la lettre du dogme. Clôture de l'inspiration prophétique, élimination de la gnose, exclusion ou destruction de tous les écrits qualifiés comme apocryphes et éclos en milieu gnostique (certains n'ont été retrouvés que récemment), ce sont là autant de symptômes, manifestant avec une logique et une cohérence parfaites, les exigences de la conscience religieuse historique à l'encontre de la conscience gnostique."
Belle explication de la méta-histoire, ou hikâyat, ou zamân anfosî, opposé au temps mesurable, à la res historica, au temps qui coule : "Ici même, il y a en langue arabe un terme clef (usité aussi en persan) d'une ambiguité particulièrement féconde ; c'est le mot hikâyat, lequel signifie une "histoire", un "récit", et comme tel une "imitation", une "répétition", comme si l'art de l'historien s'apparentait à l'art du mime. C'est qu'en fait toute histoire qui se passe dans ce monde visible est l'imitation d'événements d'abord accomplis dans l'âme, "dans le Ciel", et c'est pourquoi le lieu de la hiérohistoire, c'est-à-dire des gestes de l'histoire sacrale, n'est pas perceptible par les sens, parce que leur signification réfère à un autre monde."
Tout ça pour expliquer le joli mot d'un shaykh shiite sur son indifférence à l'historicité d'une révélation :
"J'ai parlé de phénoménologie, mais j'ai dans la mémoire le propos d'un éminent shaykh shiite iranien qui lui, n'avait jamais entendu parler de phénoménologie, mais qui d'emblée frappait la note juste. C'était à propos des critiques mettant en doute l'authenticité d'une partie du corpus des prônes, entretiens et lettres du Ier Imâm, connus sous le nom de Nahj al-balâgha. Le shaykh s'exprima ainsi : "Oui, je sais les critiques que l'on fait au sujet de ce livre ; mais ce que je sais aussi, c'est que, quel que soit l'homme qui ait tenu la plume pour écrire le texte que nous lisons aujourd'hui, à ce moment-là, c'est l'Imâm qui parlait."
Henry Corbin, En Islam iranien, I, Le shiisme duodécimain, IV, Le phénomène du Livre saint.
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