"TOUT ce qui fut n'est que symbole. Nulle méthode historique ne parvient - comme semble si souvent le croire, dans sa naïveté, certain réalisme historique au XIX° siècle - à nous faire voir la réalité en chair et en os, "telle qu'elle fut vraiment". L'histoire, c'est-à-dire, en fin de compte, la science des âmes et la révélation des âmes, ne signifie jamais reconstruction d'un objet quelconque du passé, approximation maxima, même d'une réalité passée. Bien davantage au contraire, elle dé-réalise cette ci-devant réalité, elle la transpose dans une toute autre sorte d'existence ; elle évalue, elle ne restaure pas la réalité. L'image que crée l'historien (ou qu'il sert : car, même dans sa connaissance la plus impassible et la plus scrupuleuse, l'historien, tout en menant le jeu, est lui-même mené par quelque chose qui veut devenir image), cette image est, de tous points, une réalité d'ordre nouveau et, pour ainsi dire, supérieur ; tout s epasse comme si les faits troubles revenaient se dérouler dans une matière plus cristalline et selon des lois plus transparentes. On éprouve cette impression particulièrement nette, là où il s'agit d'histoire au sens le plus intensif, dans l'histoire des individualités qui nous sont restées visibles ou redevenues visibles. Nous ne nous rendons pas présente une vie ,passée, nous la vidons de son présent, lorsque nous la considérons historiquement. Nous ne la tirons pas de l'oubli pour la ramener à notre époque, nous la plaçons hors du temps. En cherchant à voir plus clair en elle, nous l'interprétons déjà. Ce qui subsiste d'elle, quels que soient nos efforts pour l'éclairer, la pénétrer, la revivre, ce n'est jamais la vie, mais toujours sa légende. Ce qui, sous forme d'histoire, demeure dans tout événement, est toujours en dernier lieu - prenons le mot sans le surmonter d'aucun harmonique romantique ou même romanesque - la légende."
Nietzsche- Essai de mythologie ; Introduction : légende. Ernst Bertram.
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