jeudi 19 janvier 2006

La Passion du Christ

Vu le film de Gibson hier. Woah, quel film ! Moi qui hors cinéma, ai du mal à rester scotchée à ne rien faire d'autre devant des images, moi qui voulais me coucher tôt, ben je suis restée à la regarder jusqu'au bout, jusqu'à minuit. Et donc encore nase.

Première scène, dans les jardins des Oliviers, lumière bleutée, lune, tout ça fait très fantasy, on s'attend à voir arriver le loup-garou. Heureusement la langue araméenne qui claque, tout de suite. Qu'est-ce que cette langue est belle ! Pas étonnant qu'elle a régné dans tout le Proche et Moyen Orient des Akkadiens à la Conquête arabe (l'arabe dont la beauté a pu la détrôner). Bref, les pleurs, la peur, le démon, tout ça fait encore très SF, pas mal, ça rafraîchit et revivifie un peu les éternels reconstitutions poussiéreuses et respectueuses. Mais la beauté arrive très vite, au Temple. Jérusalem restituée et surtout ces juifs du temps de l'Empire romain, des acteurs crédibles enfin, bien typés, on dirait les chrétiens de Mésopotamie, ces tenues, des lumières dorées, l'assemblée des grands prêtres, attifés et majestueux comme des popes, d'ailleurs Caïphe rappelle la vieille grande-duchesse dans Ivan le Terrible.

J'aime aussi que le Christ a tout de suite la gueule amochée et la garde jusqu'au bout, parce que d'habitude c'est leur brushing impeccable que les héros hollywoodiens ne perdent jamais.

La sonorité des noms, Kefa, Yehuda, Yeoshua... Antisémite ce film ? Allons ! la beauté des scènes du passé, la vie quotidienne en Palestine, Marie comme cette Vierge de Messine, cette foule qui joue la foule, excitée par les prêtres ? Film anti-judaïque d'accord, comme les Evangiles, mais peut-on attendre du christianisme qu'il soit judéophile ? Un peu de sérieux. D'ailleurs, en restant devant l'écran, bouche ouverte et émerveillée, je me disais que c'est comme en écoutant les Passions de Bach, ça donne envie d'être chrétien au moins un moment, et puis là, finalement non, plutôt d'être judéo-chrétien, comme au tout début, ou alors chrétien d'Orient plutôt que catholique apostolique et romain.

Ceux qu'on amoche (moralement) le plus dans tout ça sont les Romains. Pilate est le moins antipathique, il joue bien le fonctionnaire fatigué de diriger cette province, le trou du cul du monde, remplie d'agités fanatiques et névrosés, et d'avoir en plus la hiérarchie sur le dos (César pas content). Les autres Romains, ce sont les soldats et les centurions, très bien vus pour ce qu'ils sont : pas les régiments d'athlètes à machoire conquérante et muscles d'acier à la Riefenstahl, mais des chevaux de retour usés par vingt ans de service, abrutis comme seule la vie militaire peut abrutir, gras du bide et édentés, ça me rappelle la scène racontée par Tacite où des légionnaires vétérans et révoltés par les fatigues des campagnes font toucher à leur général (Tibère ? Germanicus ?) leurs gencives nues et les cicatrices de leurs batailles.

Enfin, on a la scène classique du prisonnier qu'on lâche avec des rires gras parmi les dogues-troufions, même pas haineux, se réjouissant juste de pouvoir s'amuser un peu une après-midi. La scène se joue actuellement, à l'instant où vous lisez, dans quelques milliers de commissariat à travers le monde. On sent bien la rigolade du début, et puis l'échauffement de la brute qui finit par souffler des naseaux, excitée par le sang et les copains, jusqu'au déchaînement sadique et sérieux de la fin, classique lui aussi, une victime pantelante attise la rage, c'est comme ça, nous sommes de grands babouins atrabilaires.

Si Marie ressemble donc à la vierge d'Antonello, la scène du Ecce Homo rappelle maints Christ aux outrages, jusque dans le menton incliné et la position fléchie des jambes figurant la scène de la crucifixion.

Aparté : cela aurait pu être un film contre le rire, car tout le long, les méchants rient (sauf Judas, mais Judas n'est pas un méchant précisément, c'est le Traître). Mais la scène du passé où Jésus travaille encore en charpentier et rit de ce client snob qui veut manger sur une table haute contredit les imprécations du moine fou dans Le Nom de la Rose : Jésus riait, et toc. D'ailleurs il est très convaincant en grand gaillard, costaud, aimant la plaisanterie. On le voit mieux, du coup, chasser les marchands de volailles du Temple à coups de pied au cul. Les quelques scènes de l'Evangile intercalées me font regretter que Gibson n'ait pas tout tourné au filnal, même si quand il n'est pas abîmé, le visage du Christ est un peu trop maquillé "teint de velours du mannequin chez Vogue", merde il a couru tous les chemins de Palestine durant trois ans, il devait être un peu plus buriné que ça.

Deux beaux échanges de regards : le Christ et Barrabas, tous deux borgnes, donc un échange de regard unique, et surtout les scènes avec Simon le porte-croix, qui d'abord rouspète et ne veut rien à voir à faire avec ce criminel, et puis de plus en plus compatissant (et pour cause), pour finir le réconfortant "c'est bientôt fini" comme si c'était un chemin qu'ils allaient faire ensemble jusqu'au bout, et pour finir au Golgotha, on voit bien qu'il est pris dedans, prêt à être crucifié lui aussi, et c'est un soldat qui le réveille et le secoue "tu vois pas qu'on est arrivé ?" et alors hagard, il se retire, aussi désemparé et coquille vide que l'est Judas au fond, son rôle est fini à lui aussi, mais comment vivre normalement après ça, cette mort qu'on lui a volée ? (d'ailleurs l'évangile de Barnabé lui joue le parti du mimétisme jusqu'au bout).

Sur l'erreur des clous : pas sûre que ce soit une erreur, car le truc est hyper connu aujourd'hui, ainsi que la croix qui n'était pas en croix mais en T. Seulement comme Gibson reste fidèle en tout à l'iconographie catholique, il garde la croix parce que c'est la croix, et les paumes transpercées, à mon avis, parce que ce sont les signes des stigmates. Ce n'est pas Gibson qui va contredire Saint François d'Assise et les autres, enfin.

L'autre erreur dont tout le monde a parlé c'est le latin des Romains, qui devaient parler plus probalement le grec. Ouais, sans doute. mais la langue des troufions n'a aucune importance, pour ce qu'ils éructent, ils pourraient tout aussi bien parler bavarois, c'est l'araméen qui compte.

L'eau et le sang qui jaillissent comme la fuite d'une canalisation sous pression : très mésopotamien ça, ce sang du dieu sacrifié qui fertilise la terre. Chez les Iraniens, c'est avec les démons qu'on fait ça.

J'aime moins la scène cène avec les mots nunuches rajoutés : rien de mieux que de mourir pour ses amis, tout ça. Or le Christ ne meurt pas pour ses amis, mais pour tout le monde, en particuliers pour les affreux sales et méchants qui ont le plus à se faire pardonner.

Le corbeau, le démon encapuchonné et son chiard sénile : des petits flash plutôt médiévaux gothique tardif, pas déplaisants.

Quant à la résurrection, heureusement qu'on ne la sucre pas. J'ai le goût des happy end. Et puis nu comme un ver, on voit que le Christ a de belles fesses, et c'est à la fesse qu'on juge l'homme.

1 commentaire:

  1. Anonyme12:15 AM

    Oui mais non.
    Jésus ne meurt pas pour ses "amis" mais pour ceux qu'Il aime (ça vous a une autre gueule non ?). Et le Christ aime l'humanité, entière et sans exception.
    J'ai adoré la première scène à Gethsémani. Tout y est, jusqu'à l'hématidrose. Mais j'ai détesté la moue éplorée de Marie, façon Sue-Ellen quand JR la trompe.
    Jésus ri, oui. C'est déjà ça de gagné sur l'obscurantisme et l'intégrisme venu tout droit du Moyen-âge.
    Dans un siècle, il embrassera peut-être Myriam de Magdala sur la bouche et partagera sa couche comme celà est écrit dans l'aprocryphe selon Philippe (et Dan Brown, pauvre imbécile plumitif n'a rien inventé). Dans deux siècles, peut-être que les curés auront enfin compris que "tout est pur pour celui qui est pur" ... Même l'homosexualité.
    Peut-être que ce film aura mal vieilli. Sans doute.

    *Hirek ...Stat crux dum volvitur orbis.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.