vendredi 13 janvier 2006

Il faut, il faut pas


Je poursuis ma lecture des Diafoirus de la théorie littéraire avec Aristote et sa Poétique. Aussi ennuyeux et détaché de toute jubilation créative que Sarraute, en fait. Toujours ce même énoncé de "il faut raconter/écrire/mettre en scène comme ça, et non comme ça". Des règles, des règles ! A l'époque hellénistique, c'était par souci d'harmonie, ce terrible diktat grec. Au 20° siècle, un autre souci l'a remplacé, celui de la modernité : "aujourd'hui on ne peut plus écrire comme ça". Donc même cascade de règles au fond arbitraires, qui a décidé que ? Même souci de verbaliser (au sens d'une contravention) le verbe. Dans la (longue !) introduction à la Poétique, on nous dit que fort heureusement, Shakespeare avait plus lu Sénèque d'Aristote. Effectivement, les règles des trois unités et de la vraisemblance auront empoisonné et desséché le théâtre français classique. Pas de navire, pas de tempête, pas d'esprit ou de nymphe, pas d'assassinat en scène, pas de folie baroque chez Racine ou Corneille ! Au lieu de ça, des acteurs statiques articulant des répliques dans une langue parfaite, ciselée, mais que finalement on peut se contenter de lire au lieu de voir. Corneille a pourtant réussi certaines pièces, l'Illusion comique, ses comédies, il aurait pu faire beaucoup mieux si on ne lui avait pas empoisonné la vie avec ces sacro-saintes règles. Qu'aurait donné le Cid avec une plus grande liberté de forme ? Et Phèdre ? Sans doute mieux que ça n'est et traduisible en plus. Car si on enlève tous les jeux de mots et passe-passe de la langue française "Pour qui sont ces serpents bla bla bla " et Ariane... fûte... mourûte", Racine est-il encore beau et emmerdant ou seulement emmerdant ? Que donne-t-il en traduction ? Shakespeare au moins, cet auteur si "vulgaire" emmène sa féerie partout avec lui.

D'ailleurs les théoriciens du "nouveau roman" on été français aussi. Il y a peut-être un mal français à être si épris de règles et de règlement. Au 17° siècle, le roman, genre commun, pas du tout noble, n'attirait pas les énonceurs de recettes "il faut, il ne faut pas". Jusqu'au 19° siècle, on foutait la paix au romancier comme à un bon feuilletonniste. Hélas, aujourd'hui il faut des romans "pensés", sur lesquels on a "réfléchi", avec une forme "qui fait sens". Toujours ce côté prof de lettres fustigeant de rouge une copie, alors que la création c'est les grandes vacances.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.