dimanche 20 novembre 2005

Les Rois maudits


Vu le premier épisode, c'est déjà suffisant pour me faire une idée : nul à chier.

Et même c'est scandaleusement se foutre du monde. Trahir à ce point le roman et le Moyen-Âge, l'histoire et l'Histoire, c'est fort.

Déjà, première scène entre Molay et Philippe le Bel : le roi vindicatif, pétulant, affrontant directement et verbalement le Grand-Maître, ce qui est en contradiction totale et avec le livre et avec les récits des contemporains, qui décrivent tous Philippe IV comme taciturne, muet, voire glacé, comme disait l'évêque Bernard Saisset : "il ne sait que regarder fixement les gens sans parler, ce n'est ni un homme ni une bête, c'est une statue." Le Bel laissait aller ses ministres et agents d'Etat affronter les oppositions, lui se contentait d'assister muet au débat, et puis de trancher à la fin, à tel point que certains se sont demandés si ce" roi de fer" n'était pas un imbécile manipulé par ses ministres. En fait, Philippe le Bel ne se serait jamais commis à s'engueuler avec un Templier bientôt accusé d'hérésie, fut-il le Grand-Maître, il est le roi, c'est-à-dire la représentation incarnée de la majesté. Le Saint-Louis de Manneville, c'est lui. Son gisant (peut-être d'après un moulage mortuaire) c'est lui aussi. Quant à l'affrontement Templiers/Royauté il est mal compris. Jacques de Molay plaidant pour le peuple ! Mais les Templiers s'en foutent du peuple, Molay représente l'Ordre souverain face à cet Etat qui se constitue contre la féodalité. Plus tard on aura les Jésuites ou la Ligue contre le gallicanisme.

Autre chose qui choque, mis à part le physique, (T.Karyo est trop malingre. Philippe le Bel est grand, blond et athlétique, et connaissant les canons médiévaux, s'il fut appelé le Bel, c'est qu'il était blond ou à tout le moins très clair) la coiffure : cheveux ras, étrange, de même la boule à zéro de Marigny. Je sais pas, mais on a assez de statues et de miniatures du 14° siècle pour savoir qu'ils portaient cheveux mi-longs. Là Philippe le Bel a les cheveux courts, comme un vilain, comme un serf.

Autre scène vachement vraisemblable, l'arrestation des Templiers. Jacques de Molay, tous ses hommes, des moines soldats, entraînés à se battre et conditionnés pour mourir plutôt que de se rendre (parce qu'en Terre Sainte il n'était pas question d'abjurer pour avoir la vie sauve) regardent bouche bée les hommes du roi arrivés tranquillement et les arrêter, comme ça, sans se défendre, sans tirer l'épée, sans l'ombre d'une résistance. Je sais pas, il paraît bien mou celui qui a repris une dernière fois Saint-Jean d'Acre aux musulmans. Passons aussi sur ces prisonniers qui après sept ans de cachot et de sous-alimentation sortent de là les cheveux propres, avec toutes leurs dents, et blanches s'il vous plaît, alors que dans le roman ils sont justement présentés pour ce qu'ils doivent être : quatre vieillards brisés et en loques, édentés, boitant, les mains déformés par la torture...

Ensuite les décors : là on en a plein les yeux. On voit rien, c'est soit tout rouge, soit tout vert, on se croirait dans une boite de nuit avec des lampes de diverses couleurs, mais c'est à croire qu'au 14° siècle on n'avait pas encore inventé les fenêtres, et qu'on vivait dans des caves ou des bunkers (avec des lanternes de couleurs qui donnent une lumière digne du Lotus bleu ou de n'importe quel fumerie ou bordel de Cochinchine). De temps à autre, enfin pour faire transition entre deux scènes d'intérieur, on a une vue d'achitecture, presque toujours de nuit, une tour se découpant dans le ciel avec une grosse lune dorée : Hogwarts School. Donc si on veut avoir une idée de ce qu'était la lumière dans les intérieurs médiévaux, mieux vaut regarder Barry Lyndon, Louis enfant roi, La Vie de Molière, ça donne un meilleur aperçu, l'éclairage n'ayant pas trop changé entre le 14° et le 17-18° siècle. Idem pour les murs, dont on se sait pas s'ils sont faits de dalles de béton ou de fer boulonnés... Pas une tapisserie pour les couvrir ni une botte d'herbe au sol, je passe sur le design in du fauteuil de la reine d'Angleterre, avec ses léopards si chouettement stylisés...

Le personnage principal des Rois maudits, celui qu'on suit tout du long, c'est Robert d'Artois. Un géant roux, normalement. Du coup, Depardieu aurait mieux collé. On insiste sur son gigantisme, autant que sur celui de sa tante Mahaut. Les d'Artois sont des géants qui dépassent tout le monde, d'au moins une tête, dans les assemblées. Au lieu de ça on a Torreton, qui imite (mal) le jeu de Jean Piat et qui, quand il parle à Tolomei doit lever la tête pour le regarder dans les yeux. A part ça, hyper-fade dans le rôle. Mais le pire, c'est Tolomei justement. Le signor Tolomei ! Cet usurier lombard, ce marchand de Venise, qui est aussi le senhor Oliveira da Figueira dans Tintin au Pays de l'or noir ! Mielleux, cauteleux, rusé, Louis Seigner était parfait là-dedans. Ici on n'a retenu que l'accent italien, comme si c'était tout... On a aussi l'oeil toujours fermé, celui qui ne s'ouvre que "quand il dit la vérité, c'est dire si c'est rare"... Mais comme justement l'acteur ne laisse transparaître aucune ruse, aucune roublardise, on pense simplement qu'il est borgne, quoi.

Absence criante sinon : le peuple. Il est pas là. On a que des figurants muets et immobiles comme des potiches, qui regardent, par exemple, brûler les Templiers. Alors que la force du roman de Druon, c'était d'échapper à ce travers des romans historiques, qui est de ne pas présenter les gens de façon toute simple, réaliste, d'oublier que le Moyen-Âge, c'était aussi monsieur-tout-le-monde, et de le faire sentir, avec ces petites phrases qui tuent, ainsi au moment où l'on met le feu au bûcher, et où toute la foule bruissante et bavarde se tait soudain et alors, dans le silence, "un enfant éternua. Presque aussitôt, on entendit claquer le bruit d'une giffle." Dans ces Rois maudits-là, on n'éternue pas et on ne claque pas les moutards, mais la reine Isabelle se promène tout du long avec une couronne de carton doré sur le crâne (enfin vu le poids d'une couronne on espère pour elle qu'elle est en carton), à croire qu'elle ne l'enlève même pas au lit.

Bref, je mets cent fois au dessus Kingdom of Heaven, qui avec toutes ces erreurs (pas très graves, par ailleurs) avaient des images superbes et des acteurs qui jouaient pour de vrai, eux.


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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.