samedi 12 mars 2005


J'ai découvert Musil assez tôt, avec Les Désarrois de l'élève Törless. Quelques années plus tard L'Homme sans qualité. Il m'a d'abord intrigué, intéressé. De loin en loin le relisant, en gros tous les six, sept ans, je peux dire que c'est un auteur que j'aime de plus en plus. Séduction intellectuelle, gros plaisir à relire, à redévorer l'Elève Törless par exemple, que je connais par coeur, et pourtant non, à chaque relecture une lecture différente, et ça n'arrive pas avec tant d'auteurs que ça, quoi que l'on dise. Il y a des auteurs que j'ai arrêté de lire et de relire quand j'ai senti tomber mon intérêt parce que je sentais que j'en avais pompé tout le jus, comme un chewing gum trop mâché, c'est le cas de Tournier avec Le Roi des Aulnes et des Météores dont je raffolais à 17 ans. Plus rien à en apprendre. Musil non, c'est l'inverse. Il m'a bien moins captivé que Le Roi des Aulnes au même âge (fin de l'adolescence en gros) mais le relisant à des années-lumière de qui j'étais à 18, 28 ans, je me sens tout d'un coup en pleine correspondance harmonique, celle fugitive et intense du temps d'une lecture, pas plus, ce n'est pas un maître à penser, mais quelqu'un dont les livres font des clins d'oeil appréciables. Amusant et surprenant aussi de voir des phrases soulignées il y a dix ans qui aujourd'hui ne me parlent plus autant. Quelle naïveté avais-je d'être frappée ainsi, de m'en servir comme marchepied pour la vie... (ça me fait le même effet pour Nietzsche qui vieillit moins bien que Musil, qui finira peut-être comme Tournier, dépassé, usé, car j'ai trouvé plus captivant, intrigant ailleurs). Relire des phrases que j'avais soulignées alors, c'est être replongée d'un coup dans la niaiserie de ma jeunesse, la même qui soulignait fiévreusement des tas d'aphorismes nitzschéens parce que j'avais vingt-cinq ans et que je voulais exister... Or les passages que je bois le plus attentivement, le plus longuement chez Musil, ne sont du tout les mêmes. Là je n'ai plus rien souligné chez Törless. C'est l'oeuvre en général, la virtuosité légère de ce petit chef d'oeuvre que j'ai trouvé goûteuses. Léger, mi-cruel mi-indulgent comme un petit opéra baroque.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.