mardi 16 novembre 2004

Encore un passage que je me prends dans les gencives, moi qui sais si peu pardonner parce que je n'ai jamais su bien haïr :

"- La clémence, qui n'implique aucun élément déterminé, n'est pas davantage un vrai rapport avec l'ipséité de l'autre. En somme : presque rien à pardonner et presque personne non plus à qui pardonner ! Le magnanime est bien trop grand pour voir du haut de son altitude les moucherons et pucerons qui le harcèlent : aussi la mégalopsychie tourne-t-elle facilement au dédain. L'offenseur n'est pas seulement négligé : pour mieux dire, il est quasi-inexistant ; et la clémence, à son tour, n'est pas seulement condescendante, elle est bien plutôt "intransitive" ; elle est littéralement solitaire en sa magnanimité. La clémence est un pardon sans interlocuteur : aussi le clément ne prononce-t-il pas la parole du pardon pour un vrai partenaire en chair et en os. Ce tête-à-tête est une solitude, ce dialogue un soliloque, cette relation un solipsisme. C'est donc peu de dire que l'homme clément n'a jamais souffert du fait de son insulteur, qu'il n'a jamais eu le temps de lui en vouloir, qu'il ne lui reproche rien ni ne lui fait l'honneur d'éprouver à son endroit la moindre rancune, fût-ce une rancune naissante aussitôt réprimée par le pardon... En vérité, il n'a même pas un regard pour celui qu'il absout ! Il ne s'aperçoit même pas de l'existence du puceron ! Qu'elle soit magnanimité ou magnificence, mégalopsychia ou mégaloprépéïa, la clémence exclut tout rapport vraiment transitif et intentionnel avec son prochain. La clémence n'est pas plus le pardon que la générosité n'est amour..."

Le Pardon. Vladimir Jankélévitch.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.