Une expression latine exprime à merveille le rapport secret que chacun d'entre nous doit avoir avec son Genius : ‘indulgent Genio’. Il faut consentir à son Genius, s'abandonner à lui, nous devons lui céder tout ce qu'il nous demande, parce que ses exigences sont les nôtres, son bonheur notre bonheur. Quand bien même ses prétentions – nos prétentions – pourraient sembler déraisonnables et capricieuses, il est bon de les accepter sans discuter. Si, pour écrire, vous avez besoin – s;'il'a besoin – de ce papier jaunâtre, de ce stylo spécial, s'il faut précisément cette lumière pâle qui tombe de votre gauche, il est inutile de se dire que tout stylo quel qu'il soit fera l'affaire et que tout papier comme toute lumière sont bons. S'il ne vaut pas la peine de vivre sans cette chemise de lin céleste (et par pitié, surtout pas la blanche avec son petit col d'employé), si on sent bien qu'on ne peut pas s'en sortir sans ces cigarettes longues au papier noir, il ne sert à rien de se répéter qu'il n'y a là que des manies et qu'il serait temps, finalement, d'y mettre bon ordre. 'Genius suum defraudare’, frauder son propre génie, signifie en latin : s'empoisonner la vie, se faire du tort. 'Géniales’, géniale, en revanche, cette vie qui éloigne le regard de la mort et répond sans ambages à l'élan du génie qui l'a engendrée.
Profanations, Giorgio Agamben.
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