"Devenir invité muet (…) avant de piper mot" : au premier sens des termes ou avant de vouloir nommer ce qu'on voit ?
Avant de vouloir nommer ce qu'on voit parce que dans une certaine mesure, si on veut convoquer les choses dans leur fraîcheur native, il faut avoir soi-même quasiment disparu. Exactement comme les chasseurs, zoologistes ou photographes qui veulent voir un ours. Ils se cachent. Ils font une petite cabane qui ressemble à s'y méprendre à un bosquet de sapins, et c'est ainsi qu'ils parviennent à voir. Je trouve qu'entre le voyage et l'écriture il y a un point commun, pour moi c'est très important. Dans les deux cas, il s'agit d'un exercice de disparition, d'escamotage. Parce que quand vous n'y êtes plus, les choses viennent. Quand vous y êtes trop, vous bouffzs le paysage par une sorte de corpulence morale qui fait qu'on ne peut pas voir. Vous entendez des voix qui vous disent : Ôte-toi de là" – comme dans les points de vue on engueule les gens corpulents parce qu'ils cachent le Mont Blanc ou le Mont Rose. Et du fait que l'existence entière est un exercice de disparition, je trouve que tant le voyage que l'écriture sont de très bonnes écoles.
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