Des adhésifs dans le monde moderne, Marina Lewycka
Dans ce roman-comédie, auquel la multiplication des personnages et des intrigues parallèles – mais, au fond, quelle est l’intrigue principale ? – donne un air de soap-opera, il y a quelques personnages ou fils conducteurs, souvent olfactifs : le premier est, sans aucun doute, Wonder Boy, un « malabar avec une tête affreuse et trois pattes noires », puant, violent, et obsédé sexuel, qui pisse à peu près partout et d’abord sur les pieds de la narratrice, ce qui ouvre l’intrigue ; il y a aussi, d’une puissance olfactive encore plus efficace, Canaan House, la maison de Mrs Shapiro, « quelque part entre le quartier de Stoke Newington et celui de Highbury », qui, en plus de loger son habitante humaine, sert d’asile de nuit comme de jour à Wonderboy sus-mentionnée, aux victimes félines de ses pulsions sexuelles et aussi quelques autres mâles congénères de même espèce, sept en tout ; comme Mrs Shapiro, en plus de collectionner les chats, ramasse tout ce qui peut se trouver dans les poubelles et dans les rayons produits périmés des supermarchés, avec un faible pour le poisson avarié, autant dire que la géniale bâtisse en ruines, avec ses « bow-windows victoriens », son « porche roman orné de colonnes torsadées soutenant de petites arches rondes », ses « exubérantes cheminées Tudor et une hallucinante tourelle digne de Dracula, dont un des côtés était agrémenté de fenêtres gothiques », en plus d’être ce que les agences immobilières appellent ‘demeure de caractère’, est un concentré de puanteurs décrit avec une telle fascination et esprit d’analyse par Georgie, la narratrice, que le lecteur, tout le long de l’histoire, en a plein les narines. Le souper aux poissons variés (et avariés) arrosé de vin blanc a de quoi vous dégoûter du cabillaud pendant 6 mois et est un grand morceau d’anthologie gastronomique…
Dans ce roman-comédie, auquel la multiplication des personnages et des intrigues parallèles – mais, au fond, quelle est l’intrigue principale ? – donne un air de soap-opera, il y a quelques personnages ou fils conducteurs, souvent olfactifs : le premier est, sans aucun doute, Wonder Boy, un « malabar avec une tête affreuse et trois pattes noires », puant, violent, et obsédé sexuel, qui pisse à peu près partout et d’abord sur les pieds de la narratrice, ce qui ouvre l’intrigue ; il y a aussi, d’une puissance olfactive encore plus efficace, Canaan House, la maison de Mrs Shapiro, « quelque part entre le quartier de Stoke Newington et celui de Highbury », qui, en plus de loger son habitante humaine, sert d’asile de nuit comme de jour à Wonderboy sus-mentionnée, aux victimes félines de ses pulsions sexuelles et aussi quelques autres mâles congénères de même espèce, sept en tout ; comme Mrs Shapiro, en plus de collectionner les chats, ramasse tout ce qui peut se trouver dans les poubelles et dans les rayons produits périmés des supermarchés, avec un faible pour le poisson avarié, autant dire que la géniale bâtisse en ruines, avec ses « bow-windows victoriens », son « porche roman orné de colonnes torsadées soutenant de petites arches rondes », ses « exubérantes cheminées Tudor et une hallucinante tourelle digne de Dracula, dont un des côtés était agrémenté de fenêtres gothiques », en plus d’être ce que les agences immobilières appellent ‘demeure de caractère’, est un concentré de puanteurs décrit avec une telle fascination et esprit d’analyse par Georgie, la narratrice, que le lecteur, tout le long de l’histoire, en a plein les narines. Le souper aux poissons variés (et avariés) arrosé de vin blanc a de quoi vous dégoûter du cabillaud pendant 6 mois et est un grand morceau d’anthologie gastronomique…
L’autre fil conducteur – ou faudrait-il dire adhésif – de l’histoire sont les adhésifs, justement, toutes sortes d’adhésifs et de colles, réels ou symboliques, d’où le titre : ce qui colle et ce qui se décolle, ce qui prend et ce qui lâche, ce qui se ressoude ou non : les mariages, les liaisons extra-conjugales, les gouttières en fonte, les lavabos, les porte-brosses à dents…
Georgie Sinclair, épouse aimante de Rip Sinclair, mère de deux adolescents, Ben et Stella, un matin comme un autre, après une scène de ménage au sujet d’un porte-brosse à dents à fixer au mur de la salle-de-bain, se retrouve plaquée par son mari qui, vexé, part vivre non chez sa mère, mais chez son meilleur pote, lequel a une femme aussi, qui, bref… entre fureurs et adultères plus ou moins entrelacés, ce sont quelques mois initiatiques que l’on pourrait intituler « mes six mois de divorce en cours », entre larmes, intoxication alimentaire et dépravation sexuelle à l’aide de menottes-sparadrap (toujours les adhésifs …). Plus quelques flash back arrosés de larmes sur le début et la fin d’un mariage entre une fille de mineurs du Yorkshire laminés par l’ère thatchérienne et le fils d’une famille aussi cultivée que fortunée, et la constation rancunière et lacrymale que divorcerd’un salaud infame dont on est encore fort éprise et que l’on désire toujours, même, après 20 ans est une entreprise ardue.
L’autre intrigue est celle de Canaan House, aux relents de poisson et de pisse de chat. Mrs Shapiro, dont l’âge paraît mystérieusement osciller entre 90 et 70 ans, échappe tant qu ‘elle peut aux services sociaux et aux agences immobilières véreuses, attirées comme des requins assoiffés de sang par cette maison quasi à l’abandon et hors de prix et sans titre de propriété à opposer pour en défendre les murs … Georgie – qui, à part divorcer et taper des articles sur les polymères pour le journal Adhésifs dans le monde moderne, et se faire du souci pour son fils obsédé par l’Armageddon, n’a que ça à faire –, se lance dans une enquête de détective pour contrer les agents véreux Wolfe & Diabello (ce qui n’empêche pas certains ébats torrides avec le second), pour brouiller le flair des services sociaux concernant autant les remugles du logis de Mrs Shapiro que les zones d’ombres de son passé – qui est vraiment Mrs Shapiro ou plutôt qui est la vraie Mrs Shapiro, qui son mari Artem a-t-il aimée avant-guerre, qui a-t-il épousée à Londres et de qui est son fils, Chaim ?
Comme souvent dans les romans humoristiques britanniques, l’histoire est heureusement agrémentée par une foule de personnages loufoques et bien campés : Mark Diabello, l’agent immobilier à la jaguar noire, « à la voix sirupeuse et aux yeux mouchetés d’éclats noirs et or », Cindy Baddiel, l’assistance sociale compatissante, experte en relaxation, rose et rebondie comme un marshmallo ; Ralph et son père, Tatie ; des personnages aussi émouvants, tous porteurs d’un morceau d’Histoire en plus de la leur : les parents de Georgie, dont la vie résume la gloire et la fin des mines du Yorkshire ; Mr. Ali, le bricoleur palestinien, flanqué de ses deux neveux, les inénarrables Incapables, qui amènent dans leur caisse à outils toute la tragédie palestinienne en deux générations, afin de réparer une maison dont l’énigme se situe autant en Biélorussie juive que dans le Danemark occupé, et finalement dans les grandes heures du sionisme et des pionniers de 1948.
Il n’y a pas beaucoup de véritables méchants – même Wonder Boy a ses quart d’heure de tendresse et d’offrande de souris mortes, comme on le voit à la fin –, dans un happy-end, certes un peu surfait, emprunté au cinéma, où tout le monde a droit à son petit quart d’heure de conclusion et à la perspective d’une vie de couple heureuse.
« Des adhésifs dans le monde moderne » est un roman avec quelques ficelles narratives un peu convenues mais éprouvées et qui ont déjà fait recette dans ce genre de littérature, efficaces, et soutenues par toute une galerie de personnages attachants et drôles. Une histoire qui se lit d’une traite (on a envie de savoir à QUI appartient cette maison, finalement) et fait passer un bon moment.