L'irréversible et la nostalgie, de Jankélévitch, vient de reparaître. Un bain d'intelligence et ça fait du bien – je pourrais dire surtout en ce moment, mais croyons-en Lucien Jerphagnon, l'imbécilité a 28 siècles et donc ça fait toujours du bien.
Je m'amuse à collecter de ces petites phrases, petits fulgurences qui ponctuent souvent la fin de ses raisonnements, mais qui, isolément, sont aussi savoureux et énigmatiques que des maximes tchan :
La prière est le désespoir de la raison.
Le prisonnier n'est rien de plus qu'une plante ou un marronnier.
La coïncidence du point de départ et du point d'arrivée prouve au moins ceci : la gare est restée fidèle à un rendez-vous qu'elle n'a d'ailleurs jamais trahi ; la fidélité de la gare justifie la confiance du voyageur…
L'irréversible, ce n'est pas un été à Capri, c'est un rendez-vous à la gare Saint-Lazare.
Vladimir Jankélévitch est aussi un de ceux qui parlent le mieux des "heures" de l'âme, et surtout celles qui sont espoir, désespoir, grâce, délaissement, en somme une liturgie des heures de l'âme ; déjà son passage étourdissant dans Les Vertus et l'Amour.
Ici il reprend la même idée mais sous un angle de vie qui, de façon amusante, parce que sans doute coïncidence, fait irrésistiblement penser au yi king, le livre des mutations saisonnières par excellence :
Voici qu'au centre de la profondissime ténèbre une très douteuse blancheur apparaît : cette lueur pâle est comme l'espérance de l'aube à minuit, la promesse d'un lointain printemps dans la nuit du solstice d'hiver ; ou si l'on préfère d'autres images : cette lueur est comme la première déchirure de ciel bleu et le premier espoir d'embellie à travers les nuages bas du souci : une issue est enfin offerte à l'éternelle mélancolie. Le gris, comme il est la première impureté après la blancheur candide, est aussi la première espérance après la noirceur de l'enfer.