San Franceso, Arezzo
Supposons que nous ayons à exprimer la situation suivante : "Salomon rencontre la reine de Saba, tous deux sont à la tête d'un cortège de seigneurs et de gentilshommes habillés en style Renaissance, baigné par la luminosité d'un matin enchanté où les corps prennent l'aspect d'intemporelles statues, etc." Tout le monde aura reconnu dans ces expressions verbales une allusion vague au texte pictural de Piero della Francesca qui se trouve dans l'église d'Arezzo, mais on ne saurait avancer que le texte verbal 'interprète' le texte pictural. Au mieux il y renvoie ou le suggère et, s'il y réussit, ce n'est que parce que c'est un texte pictural que notre contexte culturel a très souvent verbalisé. Et même dans ce cas, parmi toutes les expressions verbales, certaines seulement se réfèrent à des unités de contenu reconnaissables (Salomon, la reine de Saba, 'rencontrer', etc.), tandis que les autres transmettent des contenus totalement différents de ceux qui s'exprimeraient en présence de la fresque, si l'on considère en outre qu'une expression verbale comme /Salomon/ n'est qu'un interprétant plutôt générique de l'image peinte par Piere della Francesca. Quand le peintre a commencé son travail, le contenu qu'il voulait exprimer (selon sa nature de nébuleuse) n'était pas encore suffisamment segmenté. Ainsi a-t-il dû INVENTER.
Umberto Eco, La production des signes.
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