Rancé, c'est aussi lancer à la face du siècle réputé incroyant un idéal d'ascétisme qui donne au catholicisme le prestige de l'incorruptibilité, de la pureté, d'une forme de sublime provocateur. Il y a de cette attitude dans le texte de Chateaubriand, qui relève, tels les gueux de la révolte, le flambeau d'une pratique chrétienne traditionnelle que les temps faisaient volontiers passer pour ridicule : désinvolture superbe à montrer très simplement que l'on va se confesser très régulièrement, à affirmer qu'il y a de la grandeur à réciter son chapelet, comme le prince de Lampedusa, comme si vous et moi ne faisions pas autre chose.
C'est avec Couperin qu'il faut marier la Vie de Rancé. Cette "grande aphonie", qui atténue l'écho de la tourbillonnante fronde en Barricades mystérieuses, est tout à fait analogue à la délicatesse de toucher qu'exige Couperin, même dans l'énergie la plus mâle, même dans la fantaisie la plus débridée, miracle d'équilibre qui n'est réservé qu'aux très grands. Au plan très clair de la Vie de Rancé, on pourrait distribuer des titres puisés dans les Pièces de clavecin. À la généalogie de Rancé et à son enfance Les Fastes de la grande et ancienne ménestrandise. Au tableau trépidant du XVIIº siècle Les Tricoteuses, avec sa section "mailles lâchées", quand Chateaubriand déraille. Le Drôle de corps à la duchesse de Montbazon, Les Regrets au travail de discernement qui suit la conversion et au voyage à Rome. À la réforme de la Trappe Les Vieux Seigneurs, Sarabande grave et à la mort Le Point du jour. il y a chez Couperin le même mélange de fantaisie, de mélancolie et de grandeur que dans cette Vie de Rancé où tout semble baisser d'un ton, même l'humour noir, où tout paysage s'estompe dans l'invasion des nuages, avant la tombée de la nuit qui empêchera désormais de les voir.
<Vie de Rancé, Chateaubriand, introduction de Nicolas Perot.
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