…Tout à l'opposé de la connaissance qui est suppression de l'altérité et qui, dans le "savoir absolu" de Hegel, célèbre "l'identité de l'identique et du non-identique", l'altérité et la dualité ne disparaissent pas dans la relation amoureuse. L'idée d'un amour qui serait une confusion entre deux êtres est une fausse idée romantique. Le pathétique de la relation érotique, c'est le fait d'être deux, et que l'autre y est absolument autre.
Ph. N. – Ce serait le ne-pas-connaître-autrui qui ferait la relation ?
E.L. – Le ne-pas-connaître n'est pas ici à comprendre comme une privation de la connaissance. L'imprévisibilité n'est la forme de l'altérité que relativement à la connaissance. Pour celle-ci, l'autre, c'est essentiellement ce qui est imprévisible. Mais l'altérité, dans l'éros, n'est pas synonyme de l'imprévisibilité. Ce n'est pas comme un raté du savoir que l'amour est amour.
Alors qu'en posant autrui comme liberté, en le pensant en termes de lumière, nous sommes obligés d'avouer l'échec de la communication, nous n'avons ici avoué que l'échec du mouvement qui tend à saisir ou à posséder une liberté. C'est seulement en montrant ce par quoi l'éros diffère de la possession et du pouvoir que nous pouvons admettre une communication dans l'éros. Il n'est ni une lutte ni une fusion, ni une connaissance. Il faut reconnaître sa place exceptionnelle parmi les relations. C'est la relation avec l'altérité, avec le mystère, c'est-à-dire avec l'avenir, avec ce qui, dans un monde où tout est là,n'est jamais là.
(…)
Ce qui est caressé n'est pas touché à proprement parler. Ce n'est pas le velouté ou la tiédeur de cette main donnée dans le contact que cherche la caresse. C'est cette recherche de la caresse qui en constitue l'essence, par le fait que la caresse ne sait pas ce qu'elle cherche. Ce "ne pas savoir", ce désordonné fondamental en est l'essentiel. Elle est comme un jeu avec quelque chose qui se dérobe, et un jeu absolument sans projet ni plan, non pas avec ce qui peut devenir nôtre et nous, mais avec quelque chose d'autre, toujours autre, toujours inaccessible, toujours à venir. Et la caresse est l'attente de cet avenir pur sans contenu.
Ainsi s'oppose cette idée d'Éros et d'irréductible altérité à cette mystique de l'amour par la connaissance – ou l'inverse. Plus loin, Emmanuel Lévinas évoque la paternité et cet autre même, l'étendant à une paternité non biologique, et alors, irrésistiblement, je pense à la relation murshid-murîd qui est précisément un lien où se mêle fréquemment la filiation des âmes et l'éros et quelques lignes plus loin, la relation maître-disciple est évoquée.
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