Marc-Aurèle détestait les chrétiens, ce qui n'est pas du tout surprenant à considérer combien le stoïcisme et le christianisme convergeaient parfois, surtout dans l'idée de l'amour et du prochain ; et comme on ne s'étripe férocement qu'entre parents presque-semblables qui s'accusent mutuellement de vicier et pervertir leurs beaux principes d'amour...
I.- Dès l'aurore, dis-toi par avance : "Je rencontrerai un indiscret, un avare, un envieux, un insociable. Tous ces défauts sont arrivés à ces hommes par leur ignorance des biens et des maux. Pour moi, ayant jugé que la nature du bien est le beau, que celle du mal est le laid, et que la nature du coupable lui-même est d'être mon parent, non par la communauté du sang ou d'une même semence, mais par celle de l'intelligence et d'une même parcelle de la divinité, je ne puis éprouver du dommage de la part d'aucun d'eux, car aucun d'eux ne peut me couvrir de laideur. Je ne puis pas non plus m'irriter contre un parent, ni le prendre en haine, car nous sommes nés pour coopérer, comme les pieds, les mains, les paupières, les deux rangées de dents, celle d'en haut et celle d'en bas. Se comporter en adversaire les uns des autres est contre nature, et c'est agir en adversaire que de témoigner de l'animosité et de l'aversion.
XIII.- Rien de plus misérable que l'homme qui tourne autour de tout, qui scrute, comme on dit, "les profondeurs de la terre", qui cherche à deviner ce qui se passe dans les âmes d'autrui, et qui ne sent pas qu'il lui suffit d'être en face du seul génie qui réside en lui, et de l'honorer d'un culte sincère. Ce culte consiste à le conserver pur de passion, d'inconsidération et de mauvaise humeur contre ce qui nous vient des Dieux et des hommes. Ce qui vient des Dieux, en effet, est respectable en raison de leur excellence ; ce qui vient des hommes est digne d'amour, en vertu de notre parenté commune ; digne aussi parfois d'une sorte de pitié, en raison de leur ignorance des biens et des maux, aveuglement non moindre que celui qui nous prive de distinguer le blanc d'avec le noir."
Marc-Aurèle : Pensées pour moi-même ; Livre II.
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