"Si l'intelligence est notre vraie réalité, si l'homme intelligible est au centre d'une anthropologie, héritée de Plotin, qui en fait l'origine et le terme de l'homme psychique et de l'homme sensible naturel, l'intelligence est bien la puissance métaphysique par excellence. Or l'intelligence ne fait qu'un avec le coeur, de sorte que "l'amour s'ensuit de la perception de l'être, parce que celui-ci est bien pur. L'intuition de la présence de l'être conduit aux pratiques suprêmes de la contemplation, que Mollâ Sadrâ ne craint pas de désigner par les trois modulations suivantes de l'amour : l'amour fou (al-hayamân), l'amour spirituel (al-'ishq al-rûhânî) et l'amour divin (al-mahabba al-ilâhîya). La métaphysique instruit une pratique de la liberté, à l'imitation de la liberté divine, et cette liberté s'inscrit dans la nature même de l'intelligence, qui n'a de lien qu'avec Dieu et exprime éminement la spontanéité créatrice de l'Impératif divin : intelliger, c'est libérer son propre soi de toutes les attaches mortelles, de toutes les oppressions de la matière et des passions. Inversement, la pratique de soi impose d'intelliger, c'est-à-dire de saisir l'être en son évidence immédiate, en son surgissement ordinaire."
"La sagesse est révélation, dans la mesure où elle dévoile les réalités des choses, depuis les Intelligences immatérielles jusqu'aux substances vouées à la génération et à la corruption. Elle est révélation encore, puisque Dieu lui-même, en son être qui s'identifie à sa science, se manifeste en la sagesse humaine, en laquelle sont expérimentées les épiphanies de ses noms les plus beaux. Elle est révélation enfin, en ce qu'elle ouvre aux hommes la voie d'une connaissance d'eux-mêmes où ils s'éveillent de l'oubli, savent leur destin, accèdent à la réalisation des exigences morales, où ils éclairent de leur intelligence pratique les décisions de leur volonté et font de leur liberté une liturgie et une glorification perpétuelle. La gnose est transfiguration du sujet par l'actualisation de ses plus hautes potentialités, qui ne s'achèvent pas avec les promesses de ce monde-ci (perfection naturelle) mais portent en elles des perfections surnaturelles, la constitution du corps de résurrection dans l'outremonde et l'ascension vers les réalités intelligibles angéliques. La sagesse est un devenir angélique de l'homme."
L'Acte d'être : La Philosophie de la révélation chez Mollâ Sadrâ, I, Le Témoin du Réel, Christian Jambet.
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