Dans l'introduction aux légendes de maître Echkart, je retrouve presque mot pour mot des extraits de la vitupération indignée de Zooey sur les adeptes de saint François :"Jésus savait - savait - que nous transportons partout le Royaume de Dieu avec nous, qu'il est à l'intérieur de notre être, dans un endroit où nous sommes bien trop stupides, bien trop sentimentaux, bien trop terre à terre pour aller regarder ?" La coïncidence est souriante, d'avoir lu Eckhart pour la première fois, avant Noël, en même temps que je relisais Franny et Zooey, par hasard.
"Comment faire comprendre ce mystère ? Comment faire sentir à l'homme ce désir insatiable qui pousse Dieu à venir naître en nous ? "Il y a quelque chose dans l'âme qui dépasse l'essence créée de l'âme, quelque chose que rien de créé ne touche, quelque chose qui n'est rien." (S. 28 AL). Nous vivons comme si ce quelque chose n'existait pas. Et pourtant ce quelque chose nous presse, nous oblige. Il n'y a pas pour nous de repos possible que nous n'y soyons devenus attentifs : "C'est une parenté divine, c'st Un en soi-même, cela n'a rien de commun avec quoi que ce soit. Et c'est là que bien des clercs fameux se mettent à boiter !" (S. 28 AL)."Les gens me demandent souvent : "Priez pour moi !" Je ne puis m'empêcher de penser : "Pourquoi sortez-vous ? Pourquoi ne restez-vous pas en vous-mêmes et ne puisez-vous pas dans votre propre bien ? Pourtant vous portez essentiellement en vous la Vérité ?" (S 5b AL).
Il se peut qu'à un Maître ascétique doit succéder le disciple gnostique c'est-à-dire insouciant des vices et vertus - car "si le saint est vertueux, le gnostique est oublieux" - comme un juste balancier. Et après la Connaissance revient la Règle, est-ce une fatalité ou un besoin ?
"C'est là une figure bien connue de toutes les grandes traditions spirituelles, du taoïsme à l'Islam en passant par les sages de l'Inde : reconnaissant la supériorité du disciple, le maître se met à son école. Dans la tradition chrétienne, cette figure n'a-t-elle pas son modèle dans le Précurseur lui-même : "Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse" (Jn 3, 30), proclame-t-il en désignant ce jeune disciple, Jésus, qui était venu quelque temps auparavant se faire baptiser par lui.
Saint Jean Baptiste, Lorenzo Ghiberti,
1412-16, Orsanmichele, Florence.
"Pour moi, avait dit le Précurseur, je vous baptise dans de l'eau en vue de repentir ; mais celui qui vient derrière moi vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu." (Mt 3, 11). C'est le rôle de l'ancien homme, toujours, d'enseigner les voies de la pénitence : le jeûne, la veille et les actions vertueuses. Mais il ne fait là rien de plus que "préparer le chemin du Seigneur" (Mt 3, 3), ouvrir la voie pour un tout autre événement : la venue parmi nous, en nous, de Dieu lui-même : "Tous ceux-là sont des marchands qui aimeraient être gens de bien et accomplissent à la gloire de Dieu des oeuvres telles que jeûnes, veilles et prières, mais ne le font que pour obtenir quelque don en échange" (S.1 AL). C'est, dit Eckhart, ce que tant de clercs ne comprennent pas : "L'homme doit vivre de telle manière qu'il soit un avec le Fils unique. Entre le Fils unique et l'âme, il n'y a pas de distinction." Les Légendes de maître Eckhart.
Zooey : "Les deux Testaments sont remplis de pandits, de prophètes, de fils favoris, de Salomons, d'Isaïes, de Davids, de Pauls, mais enfin qui à part Jésus savait de quoi il retournait ? Personne. Pas Moïse en tout cas. Ne me dis pas que Moïse le savait. C'était un brave homme et il était en contact avec son Dieu, mais justement, nous y voilà : il était obligé de se tenir en contact avec lui. Jésus, lui, s'est rendu compte qu'il n'y a pas de séparation d'avec Dieu." J.D. Salinger, Franny et Zooey.
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