mardi 20 janvier 2009

Le maximalisme



"Du moment que le comble de la pureté est atteint, que l'avènement sur terre de l'art absolu est devenu une réalité, l'histoire est finie : comme dans l'Apocalypse, le temps ne saurait aller plus loin, kronos ounéti estai... Art absolu, arme absolue ! Décidément les temps sont révolus et l'eschatologie est au présent. C'est ainsi que le nudisme, qui est, comme le purisme, une espèce de spécialité professionnelle, se donne en une fois la nudité superlative : car au-delà de cette pureté gymnique il n'y a rien, et on ne saurait se dévêtir de sa peau. Que deviendrait d'autre le devenir, si ce devenir a actualisé la suprême, l'extrême, ultime possibilité de libération humaine ? Le De plus en plus indéfini, qui accélère les progrès techniques, est ici subitement et définitivement stoppé : la peinture, sous ce rapport, a moins de chance que l'aviation et la course aux armements ! La futurition est congelée, car rien de potentiel ne subsiste plus, car tout est parfaitement en acte : pour aujourd'hui le marasme ; demain, peut-être, le désespoir ; dans tous les cas, l'impasse. Quels renouvellements, quel avenir peut-on espérer encore lorsqu'on s'est placé d'un seul coup (ou lorsqu'on a cru se placer) à l'extrême pointe de de l'extrême avant-garde de toute modernité ? De toute évidence, l'histoire de la musique se termine avec Schoenberg. De toute évidence impressionnisme, fauvisme et cubisme n'avaient pour but que d'aboutir au terme d'un crescendo linéaire, à l'art eschatologique de nos contemporains. De là l'aspect étrangement fascinant, envoûtant, médusant de cette modernité maximaliste ; personne ne peut songer à faire mieux, ni à aller plus loin que ce finistère du dodécaphonisme. En vérité tant d'audace, quand elle devient chronique, risque de virer en timidité conformiste ; mais c'est un conformisme à rebours. Nos purs d'aujourd'hui sont souvent des puristes, c'est-à-dire des professionnels de la pureté, et même des puritains, ce qu'on reconnaît parfois à leur complexe d'austérité et à leur passion antihédoniste ; comme le nomadisme est une domiciliation dans le vagabondage, ainsi l'extrémisme, chez nos sédentaires de l'avant-garde, est une domiciliation systématique dans l'extrême, une forme très bourgeoise d'angélisme : représentez-vous un bourgeois ailé, ou un rentier angélique qui vivrait des rentes de son maximum définitif. Quand les grandes découvertes sont faites, quand les grandes hardiesses ont déjà été osées, comme elles le furent par un Milhaud et un Picasso, quand nul principe théorique n'est vraiment plus en jeu, la surenchère moderne peut elle être autre chose qu'un record quantitatif où déjà s'expriment la lassitude, la décadence, la conscience blasée ?"

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.