Quentin Metsys, 1514, Musée du Louvre.
"Le moraliste parle sans doute, comme l'économiste, de valeur ; mais il ne s'agit pas pour lui d'une valeur mercantile et et qui permette de comparer, d'estimer ou d'échanger. La valeur tantôt isole et tantôt uniformise ; dans ce dernier cas la valeur mesure l'équivalence, l'égal et l'inégal, le grand et le petit. Chacun de nos plaisirs, chaque mouvement de notre coeur, au contraire, a un prix inestimable et auquel rien ne se compare ; qui évaluera, par exemple, la grandeur infinie de l'amour ? Certes la réflexion consciente, repoussant ses états dans l'objectivité, ne tarde pas à les peser, à les monnayer, à préférer l'un à l'autre ; n'empêche que chaque plaisir, pris sur le fait, est en quelque sorte inappréciable. Dans ces conditions on se demande quel sens pourrait bien avoir l'idée morale du rachat, et si même elle est intelligible, toute rassurante qu'elle paraisse : certains actes ecclésiastiques, une repentance appropriée, de bonnes actions toujours plus ou moins intermittentes posséderaient cette étrange vertu d'annuler ou de compenser notre faute : on effectue sans le dire la somme algébrique des mérites et des péchés, comme si des actions pouvaient se sosutraire les unes des autres ou s'additionner entre elles. Cette comptabilité, ce "clearing" dérisoire, on appelle cela : Examen de conscience. Nous explorons notre conscience comme on fait un bilan, ou comme les marchands font leur caisse, le soir venu. En réalité ma faute passée et ma douleur présente occupent chacune leur place respective dans le temps, et celle-ci prend la suite de celle-là et se surajoute à elle sans la neutraliser. Ce contraste violent du repentir et du remords a lui-même une racine métaphysique ; le repentir insiste plutôt sur les actions, le remords met l'accent sur la personne. "
"Chaque mérite est censé refaire ce que chaque démérite a respectivement défait. Mais pas plus que le démérite ne vient en déduction d'un capital de mérite, le mérite n'est chargé de compenser les manquements du démérite."
"S'il ne s'agissait que du Faire, le repentir suffirait assurément à me guérir : mais il s'agit d'une maladie autrement grave : c'est mon Esse qui ne vaut rien ; la faute que j'ai commise fera éternellement partie de ma constitution intelligible, et les bonnes actions qui lui font suite ne l'"expient" en aucune manière ; ou bien ces bonnes actions sont un remède de mauvais aloi et recèlent le poison de la complaisance ou bien elles supposent elles-mêmes l'innocence retrouvée, en sorte que ce ne sont pas les vertus qui effacent notre faute, mais au contraire parce que notre faute s'est déjà volatilisée la pratique des vertus est devenue possible. Voilà pourquoi nous appelons le remords une douleur pure. La justice du remords n'est ni répressive ni corrective... - que dis-je ? Le remords est le contraire de la justice, le remords est souverainement injuste. Du châtiment considéré comme sanction nous séparons avec peine toute espérance de rémunération, toute pensée de purgation rédemptrice ; il nous semble que la douleur nous donne des droits et que souffrir c'est accumuler une sorte de créance. Le remords, lui, ne nous punit pas pour nous perfectionner, ni pour décourager le crime, ni pour acquitter une dette ; ce n'est pas un "exemple", ce n'est pas une initiation, et ce n'est pas non plus un règlement de comptes, (tisis), un paiement. Et pourtant le remords nous punit de nos péchés, c'est certain."
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