samedi 16 août 2008

La route "étroite et difficile" qui mène vers les districts du nord


"Pendant que j'étais en train de discuter avec Suzy, la salle s'est remplie d'ombres menaçantes. Des hommes silencieux, sans odeur, ni couleur. Ils mangent en me jetant, de temps en temps, un coup d'oeil ni curieux, ni méfiant. Comment qualifier ce type de regard ? J'ai l'impression d'être regardé par quelqu'un qui a déjà vu le film et ne l'a pas aimé. Il paraît que c'est notre odeur qui les suffoque, celle de l'ambition, car ils sont complètement dépouillés d'ambition. Alors qu'on se fait encore des projets. Et nos projets sont un mélange de fric, de volonté et d'idées reçues. Ils sentent quoi, eux ? Ils n'ont plus d'odeur. Ils sont à la fin du voyage."

"Sur mes rares photos d'adolescence, j'ai toujours un livre en main. Même celles où je suis en train de bavarder avec mes camarades de classe. Ceux que je croise sur mon chemi aujourd'hui me le rappellent. Il n'y avait, semble-t-il, pas moyen de communiquer avec moi. J'étais toujours plongé dans un livre. J'ai une photo où je suis en train de lire couché sur le plancher avec ma mère, à l'arrière, repassant mon uniforme d'école. ça devait être un dimanche après-midi. Ma mère me poussait sûrement à sortir, à aller sur la place ou au cinéma avec les copains, mais je ne voulais que lire. Ni le soleil, ni la lune, ni les filles ne m'intéressaient alors. Seul le voyage que permettait la lecture. Je n'étais jamais rassasié. Je rêvais qu'un jour j'entrerai dans un livre pour ne plus jamais revenir."

"Kawabata a beau avoir eu le prix Nobel, c'est Mishima qui représente le Japon. A surveiller tous ces intellectuels qui font des poids et haltères jusqu'à en avoir la migraine. Cette double puissance (un esprit raffiné dans un corps musclé) peut monter à la tête. Un intellectuel qui peut aussi te casser la gueule finit toujours, les manches retroussées et en sueur, en train de haranguer une foule."

"Entre les voitures, je cherche la fameuse barrière que Basho fut si heureux de franchir pour prendre la route "étroite et difficile" qui mène vers les districts du nord."



Dany Laferrière, Je suis un écrivain japonais .

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.