Dhû-l-Nûn était un ascète dévoré de scrupules, un vrai zahîd, dans la lignée de Rabi'a. Le genre à ne pas manger de melon, comme Ibn Hanbal, car ignorant si le Prophète en aurait mangé (et là-dessus approuvé par Ibn Arabî, un autre tourmenté du genre).
"Al-Walîd ibn 'Utba al-Dimachqî avait écrit à Dhû-l-Nûn pour s'informer de son état, et voici sa réponse : "Tu m'as écrit pour t'enquérir de mes nouvelles ; que pourrais-je donc t'apprendre à mon sujet, sinon que je suis en proie à toutes sortes de choses qui me font souffrir. Il y en a quatre qui me font pleurer : mes yeux aiment regarder, ma langue aime les propos frivoles, mon coeur aime que je sois à la tête des autres, et je réponds aux invites d'Iblîs, l'Ennemi de Dieu, pour tout ce qui peut déplaire à Dieu. Il y en a quatre qui me remplissent d'inquiétude : un oeil qui ne verse pas une larme sur les péchés infects, un coeur qui ne se soumet pas quand il est édifié, un esprit dont l'amour de ce bas monde affaiblit la compréhension, une connaissance qui, plus je l'examine, plus elle fait que je me trouve ignorant de Dieu. Et il y en a qui m'accablent : il me manque la pudeur (envers Dieu), qui est la meilleure des vertus de la foi, il me manque la piété vigilante, qui est le meilleur viatique pour l'autre monde, et mes jours se sont consumés dans l'amour de cette vie, qui m'a fait perdre un coeur auquel nul semblable ne me sera procuré, jamais plus !"
Comme tous les inquiets pour soi, il l'était pour les autres, qu'il exhortait volontiers. Ainsi, écrivant un jour à Bistamî, beaucoup plus décontracté sur la chose. Mais il faut lui reconnaître qu'il était gentil perdant :
"'Abd al-Karîm ibn Hawâzin al-Quchayrî a rapporté ceci : "Dhû-l-Nûn aurait envoyé auprès d'Abû Yazîd -al-Bistamî) un homme chargé de lui transmettre ce message : "Jusques à quand ce sommeil et ce repos, alors que la caravane est déjà passée !" Et Abû Yazîd aurait répondu messager : "Dis à mon frère Dhû-l-Nûn que l'homme (véritable) est celui qui dort toute la nuit, et qui au matin est déjà parvenu à l'étape avant la caravane !" Et Dhû-l-Nûn se serait exclamé : "Félicitations à lui ! Voilà des paroles qui dépassent les états spirituels auxquels nous sommes parvenus !"
La Vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn L'Egyptien, Ibn Arabî, trad. Roger Deladrière.
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