Dhû-l-Nûn était rusé, nous l'avons vu, même (et surtout ?) avec Dieu. Une des prières qu'il a composées pour L'incliner au pardon use d'un argument assez drôle : "Pardonne, histoire de faire enrager le diable !"
"Mon Dieu ! Satan est Ton ennemi et il est aussi le nôtre, et c'est en nous pardonnant que Tu exciteras sa rage par ce qui le blesse le plus, pardonne-nous donc !"
Sinon, pointe vacharde d'Ibn Arabî contre les fuqaha (ces juristes en droit canon) si souvent ennemis des soufis et des malamatî et avec qui Dhû-l-Nûn et lui-même eurent maille à partir. A l'enterrement de Dhû-l-Nûn, signe peut-être, de la faveur de Khidr en plus de celle d'Allah, une volière verdoyante l'escorte, ce que tous les soufis et ascètes voient :
Muhammad ibn Zabbân : "Lorsque mourut Dhû-l-Nûn, je vis au-dessus de la civière qui transportait son corps des oiseaux verts qui étaient pour moi une "chose" totalement inconnue."
Ibn Khamîs : "Lorsque Dhû-l-Nûn mourut à Gizeh et que son corps fut transporté dans une barque, de crainte que le pont ne s'effondrât sous le poids de la foule amassée pour accompagner le cortège funèbre, je me trouvais au milieu des gens sur un endroit surélevé pour mieux voir. Et lorsqu'on l'eut sorti de la barque pour le déposer sur la civière que les hommes portaient, je vis des oiseaux verts qui se mirent à l'entourer en déployant les ailes au-dessus de lui, jusqu'au moment où le cortège, qui avait tourné à Hammâm al-Fâr, disparut à ma vue."
Ibn Arabî suppute sans s'avancer : "Peut-être en effet ces oiseaux sont-ils les anges, mais Dieu le sait mieux, qui se manifestent en signe de miséricorde pour les hommes."
Mais voilà que le témoignage d'un faqih lui tombe sous la main, ces ophtalmiques spirituels par vocation :
"Abû-l-Husayn, disciple de Châfi'î, a déclaré : "J'étais présent à l'enterrement de Dhû-l-Nûn, et j'ai vu des chauve-souris descendre sur sa civière et sur son corps, puis s'envoler."
Et Ibn Arabî de commenter avec mépris : "Si ce témoin n'avait pas été un juriste (faqih), il aurait vu ces oiseaux sous une autre forme que celle de chauve-souris."
(En gros, tes yeux ne voient jamais qu'à travers le verre de ton âme, ducon, et on a les visions qu'on peut !)
La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l'Egyptien / Ibn'Arabî \; trad. de l'arabe, présenté et annoté par Roger Deladrière
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