vendredi 14 décembre 2007

Que demander "pourquoi Dieu a créé le monde ?" est une question absurde et impossible

Intéressant développement, qui met en avant la nécessité de répondre au comment avant le pourquoi. Façon, bien sûr, d'éluder les questions embarrassantes... Mais l'on retombe aussi sur l'éternel problème soit l'impossibilité d'être l'enquêteur et l'objet de l'enquête, l'observé et l'observateur, la vérité et l'énigme à la fois. Bien sûr, concernant le dernier cas, un exemple s'impose tout de suite, et c'était aussi une fois où la vérité était si aveuglante, qu'elle lui creva les yeux.



"74. Il doit être entendu qu'interroger sur le pourquoi d'une chose, alors qu'on en ignore même le mode d'être, est absurde et impossible. En revanche, lorsque l'on a compris le mode d'être d'une chose et que l'on en recherche le pourquoi, la démarche qu'accomplit l'intelligence est parfaitement correcte et légitime. Des exemples : si quelqu'un s'enquiert de la manière dont les végétaux viennent à l'être à partir des Natures [les quatre Eléments] avec l'aide des mouvements des corps célestes, il est légitime qu'il recherche le pourquoi du processus et il lui est possible d'arriver à le comprendre. Ou bien encore, si quelqu'un s'enquiert de la manière dont les animaux viennent à l'être à partir des Eléments et avec l'apport des végétaux, il lui appartient légitimement de rechercher le pourquoi du processus. En revanche, tous les philosophes sont d'accord sur ce point, que personne ne connaît la manière dont l'univers vient à être à partir du Créateur. Certains d'entre eux, il est vrai, désignent en termes généraux le processus par lequel le Créateur fait exister l'univers comme consistant en sa mise à l'impératif.
Cependant, ils ne connaissent pas pour autant la modalité de cet impératif. Lors donc que leurs doctrines s'accordent sur ce point, qu'il est impossible de connaître la manière dont l'univers est venu à l'existence, à plus forte raison s'interroger sur le pourquoi de son existence est encore plus absurde et échappe encore davantage à tout raisonnement possible. Peut-être bien que son pourquoi rentre dans la modalité de son être [fait partie du processus même] ; mais alors il faut désespérer d'en connaître le pourquoi, puisque la modalité de son être nous reste elle-même cachée. Comprends.
75. De plus, la faculté qui dans l'homme enquête sur la création du monde, est elle-même une parcelle de ce monde. Mais alors, comment serait-il possible d'arriver à connaître le pourquoi de la création d'une chose, tandis que la faculté enquêtante est elle-même une partie de la chose dont l'homme prétend arriver à connaître le pourquoi ? Pour qu'il lui soit possible d'arriver à connaître le pourquoi de la création du monde par la faculté enquêtante qui est en lui, il faudrait que cette forme [cette faculté] se mette en dehors, sorte, de la chose que l'homme cerne en sa compréhension. Mais aucune partie ne peut se mettre en dehors, sortir, du Tout auquel elle appartient. Comprends."


Abû Ya'qub Sejestanî, Trilogie ismaélienne, trad. Henry Corbin in Trilogie ismaélienne. 15° source.

2 commentaires:

  1. Anonyme11:08 AM

    Le Coran répond plus simplement que votre ésotériste, l'homme selon le livre sacré des musulmans n'a d'autre raisons d'exister que dans l'adoration rendue à Dieu.

    "Verset: 51.56
    Je n'ai créé les djinns et les hommes que pour qu'ils M'adorent."

    Devrait-on se demander, non sans une certaine ironie, si le Dieu miséricordieux supposé par bien des religions avait-il besoin de se créer des adorateurs, puisque se suffisant à lui-même, et d'avantage encore s'il connaissaît le triste sort de ses serviteurs mécréants ?

    La supériorité d'un Tyran ne se joue que sur sa capacité à se mettre au niveau des frondeurs dans le but de mieux les amadouer, manquerait-il cette qualité à nos démiurges turbulents pour que leurs créatures viennent à se demander si le trône n'est occupé en réalité que par la mythomanie séculaire ?

    Bonne continuation pour votre blog.

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  2. "Devrait-on se demander, non sans une certaine ironie, si le Dieu miséricordieux supposé par bien des religions avait-il besoin de se créer des adorateurs, puisque se suffisant à lui-même, et d'avantage encore s'il connaissaît le triste sort de ses serviteurs mécréants ? "

    Selon beaucoup de néoplatoniciens, dont Ibn Sîna (Avicenne), Dieu ne peut être épris que de lui-même, puisque l'élan d'amour (mahabbat) va de l'inférieur au supérieur. Il est donc Amant et Aimé à la fois, et c'est bien le seul dans ce cas, car même les mystiques ayant atteint l'union totale (fan'a) ne sont plus eux-mêmes mais l'Autre.

    Donc pourquoi avoir créé ? Un hadith répond : "J’étais un trésor caché et j’ai aimé [ou voulu] à être connu. Alors j’ai créé les créatures afin d’être connu par elles"

    Il faut voir donc la création comme un acte suprême de générosité :)) Le Trésor par essence créant des indigents pour se distribuer lui-même...

    "et d'avantage encore s'il connaissaît le triste sort de ses serviteurs mécréants ? "

    Oh il le connait. Quant au fait de savoir si la damnation est une "méchanceté divine", il faut savoir que Connaissance en gnose est l'équivalent d'amour, vouloir être connu et vouloir être aimé est absolument lié, et s'il y a connaissance il y a amour, la méconnaissance étant le manque d'amour.
    Donc en un sens, le mécréant n'est pas tout à fait responsable puisqu'il est ignorant. D'un autre côté, la recherche de la connaissance est libre, donc celui qui refuse de connaître est en fait qui refuse d'aimer, alors quid de la responsabilité ?

    Eh bien l'enfer n'a de réalité pour les avicenniens comme pour les ismaéliens que dans l'âme qui en est infligée et qui se l'inflige à elle-même. Nasir od Dîn Tusî a des visions assez lugubres là-dessus :

    http://vitanova.blogspot.com/2007/04/lenfer-selon-nasir-od-dn-tus.html

    En gros, le "châtiment, l'enfer, etc" s'ils sont dépeints de façon physique et concrète (id le paradis) pour le commun des croyants, n'ont de réalité que dans la capacité et les désirs de l'âme à se dépouiller de son écorce morte et s'il y a prison, ce sera en elle-même et par elle-même.
    Donc le "méconnaissant" (ce terme est plus juste que mécréant) en fait ne s'inflige que les effets de sa propre ignorance.

    "La supériorité d'un Tyran ne se joue que sur sa capacité à se mettre au niveau des frondeurs dans le but de mieux les amadouer"

    Non, ça ce n'est pas le rôle du Dieu mais celui du murshîd (maître ou guru si l'on veut) qui se doit d'être roublard pour amener le disciple dans ses filets. Dieu c'est celui qui est et n'est pas et n'est-pas-est et n'est-pas-n'estpas-n'est-pas et ce jsuqu'à l'infini, bref tout ça l'occupe beaucoup et il laisse les mômeries à son petit personnel.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.