Décidément, les Ismaéliens aimaient beaucoup les pluies d'anges. Quelques trois cents ans avant Nasir od-Dîn Tusî, Sejestanî glose déjà sur les gouttes de pluie angéliques, pour démontrer qu'il est inutile de se fatiguer à compter les anges dans le ciel, même en cas d'insomnies, non parce qu'ils sont innombrables, mais indénombrables, car "en ce qui concerne les réalités spirituelles, on peut mettre l'une à la place de plusieurs, ou inversement en mettre plusieurs à la place d'une seule, sans qu'il soit question qu'elles augmentent ou diminuent du fait de nombres qui y pénétreraient.
117. On trouve énoncé en certain de nos Akhbâr que "Dieu envoie un Ange avec chaque goutte de pluie qu'il fait descendre quand il le veut." Si le sage médite sur ce propos et en atteint la signification cachée, il comprendra que chez les êtres spirituels il arrive qu'un seul devienne multiple [sans subir d'accroissement numérique]. C'est qu'en effet, dans l'acte de faire descendre la pluie il y a, du côté du spirituel, un acte unique et un propos unique, lequel est la germination des végétaux, et cette chose se multiplie dans chaque goutte d'eau, si bien qu'il devient possible d'imaginer les merveilles qui, dans les règnes naturels, sont engendrées d'une seul goutte de pluie, et ces merveilles se multiplient au point qu'il soit possible d'imaginer que l'univers entier soit rempli de cette seule goutte. Si un homme passait toute sa vie à imaginer ce qui peut venir à naître d'une seule goutte d'eau, il n'aurait même pas le temps d'arriver au bout. Alors quel Ange plus noble que ce qui est amené à descendre avec chaque goutte de pluie ?"
Plus loin, nous apprenons que les Anges sont aussi les gardiens des nombres, c'est-à-dire qu'ils les empêchent de s'emmêler les uns dans les autres et par là même, préservent le Cosmos.
119. En outre, on dit souvent que pour chaque chose Dieu a un Ange à qui il a confié cette chose. C'est donc qu'il faut aussi se représenter un nombre comme une chose déficiente qui est confiée à la garde d'un Ange, car il n'y a rien dans le monde qui, davantage que les nombres, ait besoin d'être confié à un Ange.* Cela, afin que l'Ange maintienne chaque nombre séparément et distinctement, de sorte qu'il ne se mélange pas avec un autre nombre et ne transgresse pas la limite qui lui a été fixée pour qu'il soit un nombre juste ; sinon, "prospérité et postérité" périraient, car l'univers physique doit l'équilibre de sa structure aux nombres et aux choses nombrées, ainsi que Dieu lui-même le dit : "Il est celui qui a fait du soleil une splendeur et de la lune une lumière, afin que vous connaissiez le nombre des années et le comput."
* Glose: "S'il n'y avait pour chaque nombre un Ange qui le garde, le monde n'irait plus droit et tout périrait."
Abû Ya'qub Sejestanî, Trilogie ismaélienne, trad. Henry Corbin in Trilogie ismaélienne. 19° source.
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