Passionnantes Journées de Juillet racontées par Chateaubriand, de son point de vue bien sûr, que l'on sent d'ailleurs plus désespéré et amer devant la bêtise du camp royaliste, qu'il tente pourtant de défendre, que devant les têtes folles des barricades. Il a d'ailleurs une bien plus grande indulgence et même de la sympathie pour le peuple et les étudiants que pour les bourgeois qui tirent sur la garde à l'abri dans leur salon.
"M. Périer appartenait à cete classe bourgeoise qui s'était faite héritière du peuple et du soldat. Il avait du courage, de la fixité dans les idées ; il se jeta bravement en travers du torrent révolutionnaire pour le barrer ; mais sa santé préoccupait trop sa vie, et il soignait trop sa fortune. "Que voulez-vous faire d'un homme, me disait M. Decazes, qui regarde toujours sa langue dans une glace ?"
"Ceux qui jadis avaient recouvert les aigles napoléoniennes peintes à l'huile de lis bourbonniens détrempés à la colle n'eurent besoin que d'une éponge pour mettoyer leur loyauté : avec un peu d'eau on efface aujourd'hui la reconnaissance et les empires."
"Dans tous ces quartiers pauvres et populaires on combattit instantanément, sans arrière-pensée : l'étourderie française, moqueuse, insouciante, intrépide, était montée au cerveau de tous : la gloire a, pour notre nation, la légèreté du vin de Champagne. Les femmes, aux croisées, encourageaient les hommes dans la rue ; des billets promettaient le bâton de maréchal au premier colonel qui passerait au peuple ; des groupes marchaient au son d'un violon. C'étaient des scènes tragiques et bouffonnes, des spectacles de tréteaux et de triomphe : on entendait des éclats de rire et des jurements au milieu des coups de fusil, du sourd mugissement de la foule, à travers des masses de fumée. Pieds nus, bonnet de police en tête, des charretiers improvisés conduisaient avec un laisser-passer de chefs inconnus des convois de blessés parmi les combattants qui se séparaient.
Dans les quartiers riches régnait un autre esprit. Les gardes nationaux, ayant repris les uniformes dont on les avait dépouillés, se rassemblaient en grand nombre à la mairie du Ier arrondissement pour maintenir l'ordre. Dans ces combats, la garde souffrait plus que le peuple, parce qu'elle était exposée au feu des ennemis invisibles enfermés dans les maisons. D'autres nommeront les vaillants des salons qui, reconnaissant des officiers de la garde, s'amusaient à les abattre, en sûreté qu'ils étaient derrière un volet ou une cheminée. Dans la rue, l'animosité de l'homme de peine ou du soldat n'allait pas au-delà du coup porté : blessé, on se secourait mutuellement. Le peuple sauva plusieurs victimes."
"Les soldats détenus à l'Abbaye furent mis en liberté ; les prisonniers pour dettes à Sainte-Pélagie s'en échappèrent, et les condamnés pour fautes politiques furent élargis : une révolution est un jubilé ; elle absout de tous les crimes, en en permettant de plus grands."
"M. LE DUC DE MORTEMART était arrivé à Saint-Cloud le mercredi 28, à dix heures du soir, pour prendre son service comme capitaine des cent-suisses : il ne put parler au Roi que le lendemain. A onze heures, le 29, il fit quelques tentatives auprès de Charles X, afin de l'engager à rappeler les ordonnances ; le Roi lui dit : "Je ne veux pas monter en charrette comme mon frère ; je ne reculerai pas d'un pied." Quelques minutes après, il allait reculer d'un royaume."
"Au Pont-Neuf, la statue d'Henri IV tenait à la main, comme un guidon de la Ligue, un drapeau tricolore. Des hommes du peuples disaient en regardant le roi de bronze : "Tu n'aurais pas fait cette bêtise-là, mon vieux."
"Il y avait une impatience de parjure dans cette assemblée que poussait une peur intrépide ; chacun voulait sauver sa guenille de vie, comme si le temps n'allait pas, dès demain, nous arracher nos vieilles peaux, dont un juif bien avisé n'aurait pas donné une obole."
"Les enfants, intrépides parce qu'ils ignorent le danger, ont joué un triste rôle dans les trois journées : à l'abri de leur faiblesse, ils tiraient à bout portant sur les officiers qui se seraient crus déhonorés en les repoussant. Les armes modernes mettent la mort à la disposition de la main la plus débile. Singes laids et étiolés, libertins avant d'avoir le pouvoir de l'être, cruels et pervers, ces petits héros des trois journées se livraient à l'assassinat avec tout l'abandon de l'innocence."
Mémoires d'outre-tombe, III, François-René de Chateaubriand.
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