jeudi 5 juillet 2007

Il mit l'éternité en miette


J'adore Apollinaire et en relisant Le Poète assassiné, je me remémore à quel point il peut être drôle.

"Lili de Mercoeur, un grand nom, paraît-il (pas le sien naturellement), et puis assez vilain pour une femme chic, ça s'écrit Mercoeur : "Il faut prononcer Mercure", disait-elle la bouche en cul de poule. Et vous savez, elle a fini par là, on l'a remplie de mercure* comme un thermomètre. Elle me demandait le matin : "Quel temps fera-t-il aujourd'hui ?". Mais je lui répondais : "Vous devez le savoir mieux que moi..."

* Evidemment, pour savourer le sel (de mercure) il faut se souvenir de ce que l'on soignait au mercure ; relire notamment Casanova, et Saint-Simon, persifflant sur Vendôme Sans-Nez...


"Et Mme Dehan se mit à sangloter comme un pot-au-feu qui déborde. Macarée versa des larmes aussi abondantes que celles d'une baleine qui souffle. Mais que dire de Melle Baba ? Les lèvres bleues de myrtilles, elle pleura tant et tant que, de la gorge, les sanglots se propagèrent jusqu'à son pucelage qui manqua s'étrangler."


"A la porte, il s'arrêta devant Mia qui causait avec un voyageur portant une valise.
"Je suis Hollandais, disait cet homme, mais j'habite la Provence et je voudrais louer une chambre pour quelques jours ; je viens faire des observations mathématiques."

A ce moment le baron des Ygrées envoya de la main gauche un baiser à Mia, tandis que, tenant un revolver de la main droite, il se faisait sauter la cervelle et s'abattait dans la poussière.
"Nous ne louons qu'une seule chambre, dit Mia. Mais la voilà libre."


Et puis de purs éclats :

"Il suivit un couloir où il faisait si sombre et si froid qu'il eut l'impression de mourir et de toute sa volonté, serrant les dents et les poings, il mit l'éternité en miette. Puis soudain il eut de nouveau la notion du temps dont les secondes martelées par une horloge qu'il entendit alors tombaient comme des morceaux de verre et la vie le reprit tandis que de nouveau le temps passait."

Guillaume Apollinaire, Le Poète assassiné.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.