jeudi 29 mars 2007

Narcisse




"Le sort commun, selon les Anciens, c'est de vivre, harmonieusement autant que possible, en société, et l'amour n'échappe pas à la règle. La norme, c'est d'aimer et d'être aimé selon sa condition, c'est-à-dire entre humains. L'amour est partage. On aime d'autres humains, des filles, des garçons, ou les deux ; on ne s'aime pas tout seul, car nul n'a en soi de quoi se suffire. C'est la signification du mythe des androgynes tel qu'il est repris dans le discours d'Aristophane. Pr, c'est à cela que Narcisse, dans son orgueil insensé, a prétendu. Il doit donc en être chatié. Comment ? Il suffit aux dieux de l'abandonner à son choix absurde, qu'il devra assumer jusqu'au bout de ses conqéquences. Némésis le laisse donc se punir soi-même, se précipiter dans l'impossible et fatalement s'y détruire. Il a désolé la nymphe ; le voilà comme elle à se mourir d'amour, mais suprême ironie, de son propre fait. Il avait méprisé une évanescence ; à son tour, il s'éprend d'une évanescence. Elle n'était qu'un son ; il s'éprend d'une image, la sienne propre, puisque aussi bien, n'est-ce pas là tout ce qu'on peut avoir de soi ? Echo et Narcisse s'exténuent tous les deux pour avoir l'un et l'autre, de façon différente, transgressé la loi inflexible de la mesure. Echo avait bravé Héra ; Narcisse a bravé Eros : l'un et l'autre, comme Tantale, comme Ixion, comme tant d'autres, ont failli à la juste appréciation qu'il faut avoir de soi en face des dieux. Ils se sont mal connus ; les voilà punis."


Au bonheur des sages, Lucien Jerphagnon, "Narcisse avant l'ère de la subjectivité", chap. 4.

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.