mercredi 7 février 2007

A René Louis Doyon


"Mon cher Doyon,
Ce que vous m'apprenez, par cette citation d'une lettre de Bloy, complète pour moi le personnage. Il manquait cela à l'antipathie que j'ai toujours eue pour ce tartufe, cet ivrogne, ce faiseur de phrases vides, ce parasite qui se faisait un jeu d'injurier les gens qui l'obligeaient, cet homme sans intelligence - les écrivains grandiloquents n'ont jamais beaucoup d'esprit - cet hypocrite, qui m'en a donné plusieurs fois la preuve par l'expression de son visage dans certains de ses entretiens avec Vallette.

Pendant la guerre 1914-1918, j'avais recueilli à Robinson un chien que ses patrons - restaurateurs - voulaient aller abandonner au poste de police. A quelques jours de là, Bloy, pour son pavillon de Bourg-la-Reine, me demande de lui procurer un chien. Je lui amène ce pauvre Castor, lui disant que je peux le remmener s'il ne lui plaît pas, et, comme il m'assurait du contraire et se déclarait enchanté de l'avoir, lui faisant me promettre rigoureusement de me le rendre le jour que, pour une raison ou une autre, il n'en voudrait plus.

Et voilà la conduite qu'il a eue à l'égard de cette bête ! Quand je vous dis que c'était un fourbe, et malfaisant : "Liquidé." Liquidé ? De quelle façon ? Abandonné à la police ? Fait supprimer ? Donné ailleurs ? Manquant ainsi à l'engagement qu'il avait pris avec moi. Il a de la chance d'être mort. Il ne serait pas long à me voir arriver lui tenir le petit discours que mérite cette action.

Quant au pauvre chien, tant d'années ont passé, que quel que soit le sort qu'il a eu, il y a longtemps qu'il est délivré. N'importe. J'en suis atteint comme si c'était hier."

A vous, P. Léautaud.
le 4 mars 1944"





Correspondance de Paul Léautaud

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Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.