mercredi 23 novembre 2005

Sur le dos de la vie

l10h du matin. Comme à chaque fois avant de rencontrer quelqu''un qui semble en attendre beaucoup, refus et révolte, colère presque : "mais qu'attendez-vous de moi ? moi qui n'ai rien à donner...".

Comme le héros de Mysterious skin, j'ai un trou noir à la place du coeur.

19h. Bon allez fais pas ta mijaurée, de toute façon tu sais pas ce que tu peux donner, apporter, prendre, c'est le libre marché, les rencontres.

19h30. Et en plus il est en retard. Bien fait. C'est ce qui arrive toujours aux gens qui disent "je suis ponctuel". Jamais j'irai dire des conneries pareilles. Enfin bon, de la part de quelqu'un qui n'a pas arrêté de me seriner "nan mais je partirai à 21h au plus tard, hein..." Ouais ben si t'arrives à 220h45, bien la peine.

Bon j'envoie un SMS parce que j'adore râler dans mon bon droit (quand j'ai tort aussi).

19h35. Un mec déboule dans la salle. Il a un parka, des cheveux longs et gras, un portable en main et semble chercher des yeux quelqu'un. Oh non merde, pourvu que ça soit pas lui... il a l'air d'un raseur, putain j'aime pas ses yeux, il regarde vers moi, oh non avec sa tête à s'appeler Jean-Michel...

Non ça va, il se tire. ça doit pas être lui. D'ailleurs il a pas de lunettes. Bon qu'il arrive, avec une tête sympathique, et qu'on commence, quoi. Tiens prendre un kir en attendant. Pas de raison de patienter vu que je ne suis pas (toujours) patiente.

19h42. Bon ça y est le v'la, ouf il a l'air humain comme sur ses photos. Par contre pas baraqué du tout, ni joufflu. Quand je pense que son petit con de copain parle de lui comme d'un bûcheron. Là on dirait une grande gigue frêle. Queue de cheval et blouson de cuir, très intello parisien en final. quand je dis "bonjour" en ronchonnant il tombe en arrêt :"je m'attendais pas à cette voix fluette" s'étonne-t-il presque sur un ton de reproche. A sa mimique je comprends qu'il aurait pensé à un mix de voix à la Jeanne Moreau et de Claire Denis. "Ben non, et en plus j'ai un cheveu sur la langue." "Ah oui ? s'extasie-t-il hypocrite. C'est bien, ça !" D'façon lui aussi il a une voix fluette, que je dis. "Ah oui, moi j'ai une voix de merde ! approuve-t-il. Et comme je suis mal élevée, je me récrie pas.

Donc une fois assis, installé, il commence par me réciter son compliment, comme une petite fille qui tend des fleurs à un sous-préfet. "Je suis vachement content de te rencontrer et tout ça..." ce qui me fait rire : "attends d'arriver à la fin pour en être sûr." Et bon je lui raconte ma terreur que le glandu qui cherchait quelqu'un dans la salle soit lui, parce qu'il avait des cheveux longs et gras et ça le fait rire et il me dit que c'est pour ça qu'il porte une queue de cheval, c'est les jours où il a le cheveu gras. "Comme les femmes le hijeb, quoi", je dis (oui mes références sociologiques se situent toujours entre Berry et Poitou, comme on sait). Et après on discute coiffeurs et coiffures et on s'arrête et on se marre en se disant qu'on a l'air fin à discuter coiffure alors que c'est une rencontre historique merde. Du coup on change de sujet et pour relever le débat on parle du pliage des T shirts et comme on est vachement sages de ne jamais les repasser vu que ça se repasse tout seul sur le corps une fois enfilés.

Très intéressant, tout ça.

Mais bon à un moment on a dû faire une transition potable, d'autant plus qu'il m'avait fait un cadeau et que je n'en ai pas renversé mon kir sur son jean. Donc on a parlé d'amour et de mort, d'intuition et de tripes, de soufisme et de cul-bénis, d'Adso (le seul qui me parle franchement d'Adso tiens, d'habitude les autres évitent ce sujet come s'il s'agissait d'une maladie douloureuse à ne aps mentionner), de dandysme et de Balzac, il m'a raconté sa vie, et comment il a eu la chance d'avoir eu des parents communistes (et là j'approuve, c'est une aristocratie en soi), et de l'écriture et des écrivains, il n'arrête pas de bouger ses mains quand il parle, je me demande si j'en fais autant), et de la nuit du chasseur, et enfin de pleins de trucs sur lesquels on a été tellement intéressant et spirituel que naturellement je me souviens plus du détail de la conversation sur les coiffeurs et les tee-shirt froissés, puisque le temps a coulé tranquille comme il le devait et qu'à 21h je me suis dit "tiens il devrait partir" mais on n'avait à peine commencé à parler et à 21h30 je me suis dit "il exagère, il des cartons à emballer quoi" et puis à 21h40 il me demande si je veux aller bouffer quelque part... Malin, ça, on aurait pu commencer par là... Alors je lui dis qu'il l'est pas, malin, 1/ de se décider maintenant et 2/ de faire ça un soir de grève parce que j'ai un blanc dans les trains entre 23h et 12h et puis je me méfie et euh... 23h c'est bien comme train. Donc on reprend une bière (on en a bu pas mal, j'avais un peu mal au crâne le lendemain, mais c'est ça la guerre, il faut des désagréments) et on reparle, et on compare nos couleurs d'yeux qui sont les mêmes, et je lui dis "des yeux d'alien" et il se rengorge, et on va pisser parce que la bière quoi...

Et soudain il saute sur son siège en disant "et les tarots quoi !" Alors je sors mon jeu Visconti flamboyant d'or et mon Tarot de Milan tout usé et je lui demande ce qu'il veut savoir pour choisir le tirage et je me souviens plus ce qu'il demandait, on a tiré trois cartes chacun, j'ai lu mon tirage : X. Roue de Fortune - XV Diable - XXI Monde, et le sien : VII Chariot - VI Amoureux - XVI Maison-Dieu. Les deux ayant la Roue de Fortune en synthèse. Bah je voyais pas trop ce que ça voulait dire mais j'ai dit sans trop m'écouter ce qu'étaient les cartes et il approuvait vigoureusement comme s'il était d'accord, alors que moi j'étais dans le brouillard, surtout dans les vaps d'alcool, mais bon s'il a eu des réponses, et en plus des réponses à des questions, ça va.

et à 22h30 il suggère timidement qu'on va pas tarder et je lui dis qu'on décanille tout de suite même, mon train quoi.

Alors on est sorti et on s'est quitté devant le métro et il a eu presque un élan affectueux comme pour me tapoter dans le dos et j'aurais pu faire pareil avec 50 cm de plus.

Et puis même, à la fin, j'ai eu mon train. Et je me disais que c'est bien de m'être fait un pote et que ça me manquait. J'étais sur le dos de la vie, quoi.

1 commentaire:

  1. Anonyme2:37 PM

    Ce poseur d'étiquettes ? (oui, je sais les étiquettes c'est soit disant bien).
    Grrrr. Et moi aussi je te cause d'adso.
    Merde alors.
    Bon, c'est beau une amitié naissante. J'espère que les cartes étaient bonnes...

    RépondreSupprimer

Dans la vie on prend toujours le mauvais chemin au bon moment. Dany Laferrière.