"Là même s'origine la profonde différence entre la spiritualité d'un Rûzbehân et de ses pareils, non seulement à l'égard de l'ascète chrétien en général, mais à l'égard de ceux des soufis en Islam que Rûzbehân désigne comme les "pieux ascètes" (zohhâd) par contraste avec les fidèles d'amour, c'est-à-dire en général tous les dévots pour qui la beauté humaine, la beauté sensible en général, est un piège, voire une suggestion diabolique, et l'amour humain, non pas l'accès à l'amour divin, mais l'obstacle à celui-ci. L'originalité du soufisme iranien est là : elle comporte un défi et une éthique individuelle, héroïque et secrète, typifiée dans le personnage du javânmard, le chevalier de l'âme. Pour Rûzbehân, comme pour Ahmad Ghazâlî, Fakhr 'Erâqî, Hâfez, il s'agit d'un même amour. Comme il l'écrit : "Il ne s'agit que d'un seul et même amour, et c'est dans le livre de l'amour humain ('ishq insânî) qu'il faut apprendre à lire la règle de l'amour divin ('ishq rabbanî)." Il s'agit donc d'un seul et même texte, mais il faut apprendre à le lire ; ici, par excellence, l'exégèse du texte se révèle comme étant l'exégèse même de l'âme ; il faut s'initier à une herméneutique spirituelle, à un ta'wil de l'amour, parce que l'amour humain est un texte prophétique."
Henry Corbin, En Islam iranien, t. III.
Henry Corbin, En Islam iranien, t. III.